From [Marquis de Condorcet] (unpublished)
ce 8 Juillet [1788]
Mon cher et illustre confrere,

Je vous prie de vouloir bien temoigner à la societe de Philadelphie toute ma reconnaissance de l’honneur qu’elle m’a fait de me choisir pour un de ses membres, et la remercier en même tems du volume qu’elle a bien voulu m’envoier.

Je suis honteux de vous remercier si tard, mais je suis devenu extremement Paresseux. Savez-vous que depuis votre depart je me suis marié, que j’ai epousé une jeune femme, belle, spirituelle, ayant les talens les plus agréables? Savez-vous que je dois son indulgence pour mon age, et mon peu d’importance dans le monde à son gout pour les lettres et pour la philosophie? Elle aurait pu trouver beaucoup mieux à tous égards, et elle a eu la bonté de me préferer. Elle sait peindre tres bien et votre portrait d’après celui de Greuze a été un de ses premiers ouvrages.

J’ai vu, mon cher et illustre confrere, votre nouvelle constitution fedérative, et le discours que vous avez prononcé dans cette occasion. S’il a fallu la faire sur le champ, s’il a été impossible de la combiner autrement, il faudra la mettre au nombre des maux necessaires; et esperer que les oppositions seront assez fortes pour necessiter d’ici a quelques années une nouvelle convention. Je vois avez peine l’esprit aristocratique chercher a s’introduire chez vous malgré tant de sages précautions. Dans ce moment il met ici tout en désordre. Prêtres, magistrats, gentilshommes se sont reunis contre les pauvres citoyens qui ne sont rien de tout cela. Cette ligue si nombreuse par elle même s’est fait encore des partisans en criant contre le despotisme. Il est vrai qu’elle a pris le moment ou le roi reconnaissait les droits de la nation, et promettait de les lui rendre mais on hait le mot et dans ce pays-ci, on ne pense gueres aux choses.

Au reste j’espere que nous nous en tirerons, et que nous n’aurons ni guerre civile ni banqueroute malgre tout ce que nos pretendus patriotes disent et font pour conduire a l’une ou a l’autre.

Adieu, mon cher et illustre confrere, jouissez longtems de votre gloire, et qu’elle ne vous [fasse] pas oublier les amis et les admirateurs que vous avez laissés de l’autre coté de l’ocean.

Addressed: A Monsieur / Monsieur franklin / à Philadelphie
Endorsed: M. De Condorset July 1788
644196 = 046-u007.html