To Mme. Brillon (unpublished)

Depuis que vous m’avez assuré que nous nous rencontrons, & que nous nous réconnoitrons en Paradis, j’ai pensé continuellement sur l’Arrangement de nos Affaires dans ce Paÿs-là;—car j’ai grand Confiance en vos Assurances, & je crois implicitement ce que vous croyez.

Vraisemblablement plus que 40 Années couleroient aprés mon Arrivée là, avant que vous me suiverez. Je crains, un peu, que dans la Course d’une si longue temps, vous pouvez m’oublier. C’est pourquoi j’ai eu la Pensée de vous proposer de me donner vôtre Parole d’honneur, de ne pas renouveller là, vôtre Contrát avec M. B.—je vous donnant au même tem[ps] le mien, de vous attendre.—Mais ce Monsieur est si bon, si genereux envers nous,—il vous aime—& nous lui,—si bien,—que je ne puis pas penser de cette Proposition, sans quelques scrupules de Conscience:—Cépendant, l’Idée d’une Eternité, dans laquelle je ne serai pas plus favorisé que d’être permis de baiser vos mains, ou vos joues quelquefois, & que de passer deux ou trois heures dans vôtre douce Société les soirées des Mercredis & Sammedis, c’est effroyable. Enfin, je ne puis pas faire cette Proposition. Mais comme (avec tous ceux qui vous connoissent) je souhaite de vous voir heureuse, en toute chose, nous pouvons agréer de n’en parler plus à present; & de la laisser à vous, quand nous tous nous rencontrons là, d’en determiner comme vous jugerez le meilleur pour la vôtre Felicité & pour les nôtres. Determinez comme vous voudrez, je sens que je vous aimera eternellement.—Si vous me rejetterez, peut-être je m’adresserai à Me. d’Hardancourt, & qu’il plairat à elle de faire menage avec moi; alors je passerai mes heures domestiques agreablement avec elle, & je serai plus à portée de vous voir. J’aurai assez de tems dans ces 40 Années-la, de pratiquer sur l’Armonica; & peut-être je jouerai assez bien pour être digne d’accompagner vôtre Forte-piano. Nous aurons de tems en tems des petites Concerts: Le bon Pere Pagin sera de la Partie; vôtre Voisin & sa chere Famille, M. B., M. Jourdain, M. Grammont, Made. du Tartre, la petite Mere, & d’autres Amies choisies seroient notre Auditoire; & les cheres bonnes Filles, accompagnées par quelques autres jeunes Anges de qui vous m’avez deja donné les portraits, chanteroient avec nous le Allelujas. Nous mangerons ensemble des Pommes de Paradis rôties, avec du beurre & de la Moscade; & nous aurons Pitié de ceux qui ne sont pas morts. Voilà une grande Exercise que j’ai faite en François, pour profiter de vos Corrections. Il y a beaucoup des fautes, & aussi des Folies. Je les confie à vôtre Amitié. Adieu, ma toujours chere Amie.

633601 = 031-306a002.html