From Duc de La Rochefoucauld (unpublished)
La Rocheguyon 6 fevrier 1788

Je profite, mon cher et respectable confrere, d’un petit séjour ici, pour vous remercier de votre lettre du 14 8bre et de l’Exemplaire que vous avez bien voulu m’envoier de la nouvelle constitution fédérale ainsi que de celui que M. Grant m’avoit dejà remis de votre part quelque tems auparavant: j’aurois desiré que vous y eussiez joint quelques détails sur votre santé, mais j’en ai sû par M. le Veillard qui connoit tout mon interêt pour cette santé précieuse au Monde, et bien précieuse à vos amis, et je vois que si vous souffrez de vos infirmités, elles vous laissent au moins la possibilité de vous livrer aux affaires, et de vous oublier, pour songer et travailler au bien de vos concitoyens et de l’humanité.

Les nouvelles qui nous arrivent me font esperer que la constitution que vous venez de faire sera reçue par les differens Etats; elle n’est surement pas parfaite, mais où est l’Ouvrage des hommes susceptible de cet épithete? Le Peuple qui a sû se donner la liberté et qui sent le besoin de se donner de bonnes Loix les perfectionnera d’age en age, et l’Amerique sera longtems j’espere un modele pour les autres Nations.

Nous avons vu M. Payne depuis son retour d’Angleterre; ma mere qui n’a pû causer avec lui que par interprete, est désolée qu’il ne sache pas un peu plus de françois; quant à moi je l’ai vu et je le reverrai encore avec le plus grand plaisir. Son projet de Pont a recu l’approbation de l’Academie et il fait actuellement revenir son modele de Londres où il l’avoit laissé, pour aider M. de Beaumarchais qui voudra entreprendre la construction d’un Pont de ce genre a Paris entre l’Arsenal et le Jardin du Roi.

Au reste j’ai moins vu M. Payne que je ne l’aurois desiré parce que j’ai été fort occupé cet hiver par les Assemblées du Parlement. M. Jefferson vous enverra surement l’Edit qui vient d’être enregistré pour les Non Catholiques: c’est un bon pas vers la Tolerance parce qu’il est general, mais nous ne sommes pas encore arrivés au point de l’excellente Loi de Virginie, la seule raisonnable qui ait encore été faite en matiere de Religion. Celle que nous venons d’enregistrer a éprouvé beaucoup d’obstacles; un reste de fanatisme s’est uni à une forte intrigue, mais enfin elle est passée.

Les esprits sont fort occupés ici de l’Assemblée des Etats Généraux annoncée pour 1791: si elle a lieu ce sera une grande époque, car vû l’état actuel des lumieres, il doit naturellement en résulter de bons arrangemens.

Vous avez bien voulu m’envoier le second Volume des Transactions Philosophiques de la société americaine; permettez moi de vous demander de me procurer le premier que j’ai cherché inutilement, parce que l’Edition est épuisée en Europe; peut être en aurez vous fait une nouvelle en Amerique auquel cas je me recommande à vous pour l’avoir.

Permettez moi encore une autre question sur la prétendue découverte (faite près du fort ha    , au confluent du Muskingum et de l’Ohio) d’anciennes fortifications et de restes de constructions qui prouveroient que ce pais actuellement desert a été autrefois peuplé et habité par une Nation instruite de plusieurs Arts; M. St. Jean de Crevecoeur m’en a envoié un Plan avec une relation de Messieurs Parsons et sargent; je desirerois savoir si cette découverte passe chez vous pour constante.

Le bon abbé Rochon avec qui je suis venu passer ici quelques jours me charge de la rappeller à votre souvenir; mes parens que j’ai laissés à Paris vous disent mille choses, ne m’ouvliez pas, je vous prie, auprès de vos petits fils, et recevez, mon très cher et respectable confrere, l’hommage de la veneration et surtout du tendre attachement que je vous ai voué pour la vie

Le Duc de la Rochefoucauld

Endorsed: Duke de Rochefoucauld Feb. 1788
644003 = 045-u389.html