From Anne-Louise Boivin d’Hardancourt Brillon de Jouy (unpublished)
ce 29 octobre 1787 a paris

Vous avés appris tous mes malheurs par mon voisin le veillard mon bon papa; la pérte de monsieur Brillon et celle de ma petite fille qui a trois ans, étoit un modél de beauté de graçes et d’amabilité, ont téllement altéré mon áme et mes facultés qu’il ne m’en réstoit plus que pour la douleur; j’ai pris vingt fois la plume pour chércher dans votre prétieuse amitié, dans votre philosophie des secours qui m’eussent été bien utils mais les larmes me gagnoient, j’étois obligée d’intérompre et de reméttre a un temp plus calme le besoin de m’entretenir avec vous; souvent j’ai regardé votre portrait avec un grand attendrissement, la distance qui me sépare de vous augmentoit encore mes chagrins, je pensais à passy, au p[eu de?] chemin que j’avois a faire pour trouvér le meilleur des amis et le plus sage des hommes; áh mon ami plus on avançe dans la cariére de la vie, plus on la supporte et moins on l’aime qu’and on a le malheur d’estre sensible, il est si peu d’instans de bonheur, et tant d’occasions d’afflictions que celui qui s’endort jeune, me paroist le moins a plaindre, ma pauvre petite évitte peut éstre bien des chagrins! Helas elle étoit déja bien sensible! Jamais mon coeur ne pourra songér qu’elle ne consolera pas mes vieux jours: pardonnés mon bon papa je vous afflige, l’idée de me sçavoir afféctée douloureusement, touchera vivement votre áme bonne et tendre, mais c’est dans le sein de mon ami qu’il m’est doux de déposer mes peines, le tems sans doutte les adoucira, mais plus il vérra l’étenduë de ma sensibilité plus il jugera de celle de l’amitié bien constante que je lui ai voué pour la vie s’il n’éxiste rien au dela et pour l’étérnité si nous devons éxistér toujours dans le grand tout.

Je ne vous parlerai n’y politique, n’y nouvélles mon chér papa, j’entend peu le premiér article et le second devient bien peu intéréssant quand on n’est pas sur les lieux; je vous parlerai de mes filles qui vous consérvent un sentiment profond de respect et d’attachement, l’ainée nourrit un enfant de trois mois seul réste de la plus charmante famille, son mari la rend toujours parfaittement heureuse, ils s’adorent, et comme il a autant d’énérgie dans l’áme que de sensibilité, il lui aide a supportér les peines affreuses qui ont déchirées son coeur matérnélle; la cadétte n’est point grosse et n’a point d’enfans jusqu’ici, elle est heureuse aussi, sans avoir un mari d’un aussi rare méritte que celui de sa soeur, mais il est honnéste homme et assés doux a vivre; nous faisons ménage commun, ils vivent chés moi jusqu’au moment ou il leur sera plus agréable d’avoir leur ménage particulier ce que je prévois qui doit arrivér pour mon second gendre qui aime beaucoup plus le monde que moi et qui est déstiné a une grande fortune, mais dans la mesme ville quand on est unis cela n’empêche point de se voir présque tous les jours; selon toute apparence Pâris et sa fémme vivront toujours avec moi, ils ont une térre dans un pays riche et sauvage en mesme temp, aunbord de la mér, ou nous passerons une partie de l’année ensemble, ils aiment l’étude et peu le tourbillon du monde, mon gendre est devenu mon meilleur ami, il a pour moi les attentions du coeur que rien ne remplace et qui sont [si] nécéssaires quand on a vécu et souffért; ma santé est assés bonne malgré les chocs de mon áme, ma fortune sans éstre considérable est trés honnéste et fort au [delà de?] mes besoins, elle me m’est dans le cas de faire j[ouir] mes enfans et d’aidér quelques malheureux; j’ai vendu ma jolie maison de Passy, objét dispendieux et inutil pour moi, en ayant une a paris, et le projét de vivre a la campagne de mon gendre les étés; voila mon chér papa tout ce qui me regarde bien détaillé cela nous rapprochera l’un de l’autre au moins en idées; si vous m’aimés toujours comme mon amitié invariable me m’est en droit de l’éspérér, écrivés moi un petit mot j’ai de vos nouvélles par nos bons amis grand et le veillard, mais il me seroit doux d’en avoir diréctement cela augmenteroit mes richésses, car vous sçavés que j’ai gardée toujours toutes vos léttres.

J’ai mis votre portrait dans un cabinét agréable que j’ai arrangé pour méttre des livres et mes instrumens, j’y ai fait méttre un beau cadre, il est vrai comme la nature il me fait plaisir, quélquefois peine quand je pense a votre éloignement, mais je ne le regarde jamais qu’avec l’intérest le plus vif.

Ne m’oubliés pas aupres de madame votre fille que je révére sans la connoistre, n’y auprés de votre aimable fils, et de Benjamin; adieu mon bon papa.

Endorsed: Mad. Brillon
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