From Pierre du Calvet (unpublished)
A Londres le 20e Juillet 1784 No. 9, Cannon-Street, près la poste générale
Monsieur L’ambassadeur,

Avec le vulgaire des grands, on ne parle guéres de comptes et de dettes, quoi que non personnelles et de pur office pour eux; beaucoup moins en va t’on jusqu’à en solliciter avec succès le payement auprés d’eux; leur fierté, leur délicatesse se formalisent de ces details triviaux, et le peu d’intérest quils prennent aux besoins étrangers, rend infructueuse toute addresse, faite auprés d’eux pour les soulager, ce n’est pas là l’illustre Ambassadeur de l’amérique. Mr. le docteur Franklin est la droiture, la politesse, l’équité, la bienfaisance même: il est l’ami des hommes, et le père tendre des opprimés. C’est sur ce pié que tout paris le reconnoit, l’estime et l’aime, et c’est sous ces qualités bienfaisantes, que je me flatte de le connoître bientôt moi même, de sçience expérimentale et d’aprés les lécons du sentiment.

Je suis l’infortuné canadien, qui, le 17e et le 20e du mois d’octobre dernier, eut l’honneur de communiquer à vôtre Excellence a passi l’histoire de ses infortunes, a quebec durant le sejour des généraux Américains dans la province en 1776. Je fis par leurs ordres des fournitures de toute Espece, jusques à la concurrence de 56,394 l.t. 10s. 1 d. livres tournois; je lui remis aussi dans les mains les duplicatas des réconnoissances, dont les originaux sont dans la possession, de Mr. Pierre-charles Lambert, Banquier, vieille rue du temple prés de l’égout à Paris.

Le général haldimand en 1780, me suspecta de favorizer le parti Américain, et me confina pendant 948 jours dans la plus barbare captivité, sans aucun respect pour l’humanité ni pour les loix, dont j’eus beau réclamer la protection, par mes appels. C’est sur ce principe d’attachement présumé américain que ce vindicatif gouverneur, me denia hautement la liberté, de passer, à mon rétour en Europe, par les êtats unis, pour y aller solliciter en personne à philadelphie, auprès du congrès, la liquidation de la dette. Par la dignité de sa place, le général haldimand est au dessus des loix à quebec, et depuis mon départ de paris, j’en suis à poursuivre son rappel à londres, ou réduit à son inconséquente individualité, il deviendra le tributaire des loix. Il s’en faut bien que je ne sois fort avancé vers le succès, malgré la vivacité non ralentie de mes instances.

Vôtre Excellence lira dans mon Memoire que j’ai l’honneur de lui addresser le détail des oppressions de cét indigne gouverneur, et dans un(?) [mon(?)] appel, l’indifference et l’inactivité du gouvernement d’angleterre, à les amener sous la jurisdiction des loix. Cette double Marche d’administration ou subalterne ou en chef ne la surprendra pas: ce même esprit de despotisme, qui a démembré l’amérique de l’angleterre, gouverne encore de près et de loin la province de quebec. Il est vrai que la constitution angloise offre des ressources pour n’en etre pas impunement la victime et la dupe. Mais ce n’est qu’au poids de l’or qu’on peut les mettre en oeuvre avec succès, depuis sept mois révolus que je lutte à londres contre les obstacles, mon séjour m’a couté des sommes considérables, et cependant, à proprément parler, à peine ai je commencé, je prépare un appel dé[taillé?] au parlement, qui m’entrainera dans un surcroit de dépenses, pour m’ouvrir surement, le chemin de la loi; si la justice et la générosité de l’amérique ne viennent à mon secours, il m’est impossible de me conserver dans la passe de fournir à tout.

Je s’ai, Monsieur L’ambassadeur, qu’il est une foule de demandeurs, qui comme moi, réclament cette justice et cette générosité. Mais j’ose avancer que mon cas est tout à fait privilégié, c’est sur mon attachement présumé pour la cause de l’amérique, que j’ai été dépouillé si longtems de ma liberté, que dans m’a captivité, la tirannie à fait à mon patrimoine une bréche de plus de £ 20,000 Sterling, que les tristes débris de ma fortune dépérissent encore tous les jours à quebec, par l’absence de l’oeil du maître et qu’enfin le gouvernement affecte l’inaction, et fait naitre des lenteurs, pour m’arracher de mes mains mon triomphe, en m’arrachent les ressources pour l’achêter: si le congrès, dans le Moment actuel, pouvoit être au fait de cet assemblage de circonstances, d’une part si critique, et de l’autre si favorable pour moi, la Magnanimité de sentimens, qui la toujours distingué dans sa Marche ne balanceroit pas de me favoriser dans la poursuite de mon oppresseur par ses générosités-mêmes, et bien plus encore par la liquidation d’une dette de justice et d’honneur, contractée depuis un si long cours d’années, par l’entremise de ses députés.

Il n’entre pas moins de noblesse et d’élévation dans la façon de penser de son digne réprésentant, Mr. le docteur franklin, et je suis fondé à n’en pas attendre des traits moins éclatans de sa part, surtout, s’il à la bonté d’observer en surplus, que l’ouverture du nouveau parlement, m’entraine dans des démarches nouvelles, qu’une addition de dépenses seule peut soutenir, mais peut-être, que les fonds du congrès, actuellement dans les mains de Votre Excellence, ne répondent pas par leur valeur, aux grandes vües de justice et de générosité qui vous animent, et que la liquidation entiere de la dette quoiqu’une pure bagatelle pour un êtat, cet actuellement hors de ses pouvoirs: mais en attendant je récévrois une partie du payement à vôtre choix avec des transports de réconnoissance d’autant mieux fondés, que ce début de justice, en me fournissant des aisances pour mon affaire me seroit un gage de vôtre protection en m’a faveur. Je ne saurois me persuader que le vertueux Ambassadeur du congrès réfuse ce juste secours à un infortuné qui à souffert, et ne souffre encore que trop injustement pour avoir été suspecté être l’ami du congrès, et qu’il voulut par ce réfus le réduire à l’impossibilité d’obtenir jamais justice. J’ai pris la liberté de m’appuyer auprés de vôtre Excellence de la récommandation de Mr. le comte de Vergennes, que je sais être un de ses illustres amis, autant par inclinations que par l’unité de respectables caracteres: ce grand ministre est le protecteur déclaré de tous les français sous quelque climat, que la fortune de la guerre puisse les disperser, vous êtes vous, Monsieur l’Ambassadeur, le défenseur des Américains et de tous ceux qui tiennent à L’amérique par quelque rélation, je suis né français, et c’est en consideration de l’amérique que je souffre, voila mes titres à la double protection, et de vôtre Excellence et de Mr. le comte de vergennes, c’est à dire que voila le présage assuré du succès de mes demandes.

Crainte d’événement contraire sur la route, je prends la liberté d’addresser à votre Excellence un paquet pour Mr. l’ambert, que je charge d’aller à vôtre hotel récévoir vos ordres. J’ose me flatter en concluant, qu’ils me seront favorables, et qu’après avoir commencé par être l’admirateur de Mr. le docteur franklin, je finirai par le compter au nombre de mes Bienfaiteurs et de mes protecteurs. Si les intentions de vôtre Excellence pouvoient m’être manifestées, par le canal de Mr. L’ambassadeur de france ce seroit le comble de la bienfaisance et de l’humanité.

J’ai l’honneur d’être avec le respect le plus profond, Monsieur L’Ambassadeur, De Vôtre Excellence Le très hûmble et très obeissant serviteur

Pierre du Calvet

Endorsed: Juillet 1784
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