C’est au fond des Pyrenées que votre lettre du 15 Avril est venue me chercher, mon illustre et cher confrere, et je suis bien touché de la part que vous avez la bonté de prendre à la perte d’une soeur estimable et chere dont le malheur m’a privé, et dont la mort a répandu sur toute la famille un deuil bien cruel, et dont le tems seul peut affoiblir l’amertume. Le courage de ma respectable mere et sa tendresse pour nous ont vaincu sa douleur, et nous la conservent; je l’ai laissée passant son Eté à la campagne auprès de Paris pour venir ici avec ma femme à qui ces eaux étoient nécessaires; elle en a éprouvé de bons effects, et me charge ainsi que ma mere, auprès de laquelle je me suis acquitté par lettres de votre commission, de vous bien remercier de votre souvenir.
Mon éloignement de Paris ne m’a pas permis de profiter du petit séjour que M. Payney a fait; il est actuellement à Londres, et j’espere me dédommager pendant le séjour qu’il fera cet hiver avec nous. Votre amitié pour lui seroit une excellente recommendation, quand même il n’auroit pas celle d’une réputation fondée sur une aussi bonne base que l’excellent Ouvrage du Common sense.
Je vous suis bien obligé des détails que vous me donnez sur votre santé, et sur votre situation politique. M. le Veillard en m’envoiant votre lettre y en a jouté quelques uns encore qui m’ont beaucoup interessé. Puisse votre santé se soutenir au gré de ceux qui vous admirent et vous chérissent en Europe comme en Amérique, et les infirmités auxquelles la nature humaine condamne les grands hommes comme les autres ne pas rendre le soir de votre vie trop douloureux.
Votre unanime réélection à l’Office de Président de Pennsylvanie doit donner bonne esperance pour la conservation des excellentes bases sur lesquelles la constitution de cet Etat est fondée, et votre nom joint à celui de M. Washington dans la liste de la Convention qui va regler de nouveau la Confédération, assure que la constitution nouvelle de votre République fédérative sera faite sur de bons principes, et recevra de tous les Etats l’approbation que deux noms aussi justement célebres et chers à tous les coeurs Américains, doivent lui procurer. Oui, vous avez la douce satisfaction de mettre de la liberté que vous lui avez donnée, et de faire des Etats Unis de l’Amérique, le modele de tous les autres Etats, par la bonté tant de la constitution fédérale, que des Constitutions particulieres, et des Loix qui viendront à l’appui des unes et des autres. J’attens avec bien de l’impatience le résultat de cette importante Assemblée. Ce que vous me dites sur l’instabilité de la faveur populaire, est bien vrai, mais si une exception en ce genre est due à quelqu’un, c’est à vous, et je me flatte que cette faveur reposera constamment sur vous, et que vos concitoiens ne méconnoitront jamais celui à qui ils ont de si grandes obligations.
Je suis parti de Paris immédiatement après la cloture de l’Assemblée de Notables, et je suis trop loin pour vous donner des nouvelles fraiches de nos événemens publics. M. le Veillard vous aurz surement fait passer les Résultats de nos Bureaux [?] dont la premiere moitié vient de paroitre, et vous aurs appris la suite d’evenemens que cette Assemblée a produite, et qui ne sont pas encore terminés. La formation de nos Assemblées Provinciales est un peu trop bigarrée d’Ordres et d’étiquette pour réussir aux yeux d’un Philosophe et d’un Américain, mais pour un vieil Etat comme le nôtre, c’est encor beaucoup que de faire recouvrer aux citoiens une part dans l’administration de leurs affaires, et d’avoir obtenu l’annuelle publication des operations du gouvernement pour les finances.
Votre ami le Marquis est Membre de l’Assemblée Provinciale d’Auvergne, et l’on m’a fait l’honneur de me nommer Président de celle de la Généralité de la Rochelle, je pars en conséquence après demain pour saintes où elle s’ouvrira le 6 septembre; je serois bien heureux si mes nouvelles fonctions me mettoient à portée de procurer à cette partie de la france quelques moiens de renouer avec les Etats-Unis un commerce éteint depuis la perte du Canada, et qui pourroit devenir très avantageux à votre pais, et [au] notre, et multiplier encore les relations mutuelles de la france et de l’Amérique.
Nous avions effectivement recu M. de Condorcet et moi, pour l’Académie et pour nous les Exemplaires de vos Transactions, et j’espere que vous avez maintenant nos lettres de remerciment pour l’illustre société Philosophique Américaine de l’h[onneur] qu’elle nous a fait de nous aggréger à Elle, et que je suis en mon particulier bien [certain] de devoir à l’amitié de son fondateur, et de partager avec mon ami M. de Condorcet.
Je compte que M. Payne lui aura remis son projet de pont, et l’Académie se sera surement empressée de répondre à vos vues et aux siennes, et le discutera par un examen approfondi. M. Perronet n’est point mort, et M. de Condorcet [a] procuré sa connoissance à M. Payne.
Je vous prie de vous charger de mes complimens pour Messieurs vos pet[its fils.] Adieu, mon cher et illustre confrere, agrées, je vous prie, le sincere hommage de la veneration et de l’amitié dont j’aime à vous renouveller les expressions, et que je vous ai vouées pour la vie