From Anne-Louise Boivin d’Hardancourt Brillon de Jouy (unpublished)
ce 10 Xbre 1786

Je vous avois écrit une longue lettre ce printems mon respectable ami, mon voisin le veillard prétendoit avoir une occasion prompte et sure pour vous la faire parvenir, monsieur Brillon avoit joint au pacquét du voisin une léttre pour vous et une pour monsieur votre fils le tout a eté pérdu, j’ai queréllé mon voisin ce qui n’a rien réparé, et j’ai crains sur toutes choses d’avoir l’air de la négligence vis a vis de vous mon bon papa, mais mon coeur vous est connu, vous ne doutterés jamais de sa tendrésse inaltérable pour vous, c’est en face de votre portrait que je jure mon respectable ami que ce coeur sera anéanti avant de cesser de vous aimér. J’ai éprouvé cette année une succéssion de malheurs dont votre douce societé et votre philosophie m’eussent adoucies l’amértume, c’est lorsque l’áme souffre qu’elle regrétte plus vivement et sent, s’il est possible d’avantage l’absence d’un ami tel que vous; ma fille aisnée a pérdu a cinq mois un fils trés fort et beau comme le jour, elle le nourrissoit ce qui a bien augmenté sa douleur; ma fille cadétte est accouchée a sept mois d’un enfant mort, sans accident et ayant eu la grossésse la plus heureuse; ajouttés a ces pértes mon bon papa le chagrin de garder mon mari malade depuis pasque, en apparençe d’une legére humeur de goutte, mais qui l’a fait tomber dans une langueur, une mélancolie, un affoiblissement effrayants, plus d’appétit, plus de ressort, enfin il a pris le parti d’aller passer l’hiver a nice il paroist que le changement d’air et le mouvement sont les seuls remédes dans lesquels nous puissions avoir quelqu’ésperances; il n’a pas voulu que je le suivisse ce qui ajoutte a mes inquiétudes! Il est parti avec un ami sur, une fémme pour le soigner et deux doméstiques; je réste avec mes enfans, qui ont mille soins de moi, avec ma petite fille que vous avés vû dans le tems que sa mére la nourrissoit et qui est devenue belle et aimable autant qu’enfant puisse l’éstre, voila des ressourçes, des consolations, mais ce mari qui voyage infirme dans une mauvaise saison m’allarme et me tourmente! Les premiéres nouvélles sont trés bonnes dieu veuille continuér de nous secourir: et vous mon bon papa? Vous avés eu une attaque de goutte? Je l’ai sçuë par Monsieur grand que je vois souvent et qui me donne de vos prétieuses nouvélles toutes les fois qu’il en reçoit; il nous a envoyé aussi de votre part deux éxcellents jambons qui ont été mangés accompagnés de forçes rasades a votre santé, a la prospérité de l’ámerique, a celle de votre famille. Voila comme on doit recevoir et fester les cadeaux de ses amis.

Je ne vous mande rien de ce pays, tout y est aimable et léger comme de coutume, il y éxiste pourtant de solides amitiés, quand je ne parlerois que de la miénne la preuve seroit sans repliques reçevés mon bon papa les respects et hommages de toute ma famille, rappellés nous au souvenir de vos deux petits fils, et songés a moi seulement une fois sur douze que je songerai a vous! Ma petite fille connoist trés bien votre portrait et dit, voila le bon papa franklin; quand elle sera en age de pratiquer et d’aimer la sagésse et la vertu, c’est alors que je lui parlerai souvent de vous.

Tous ceux que vous avés vû habituellement chés moi veulent que je vous parle d’eux, ce seroit une litanie a n’en point finir, mais Pagin par son sincer attachement meritte une place distinguée.

Endorsed: Brillon
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