Claude-Valentin Millin de La Brosse to the American Commissioners: Memorandum (unpublished)
Mémoire

La plus rigoureuse des captivités n’a point refroidi le zèle que le S. Millin De la Brosse ancien capitaine d’infanterie a toujours eu pour les Etats unis de l’Amérique septentrionale: il n’aspire qu’à repasser dans les pays où cette nouvelle domination s’est si noblement élevée; mais pour pouvoir exécuter un projet si cher à son coeur, il ne peut se dispenser de demander à Messieurs Franklin et Déane agens des etats unis, 1º une somme de 3000 l.t., pour l’indemniser de la perte qu’il a faite de son équipage, 2º le passage sur un vaisseau armé en guerre, et de nouvelles lettres confirmant le grade de lieutenant Colonel qu’il a reçu du dernier de ces Messieurs l’année passée.

On rend trop de justice à Messieurs Franklin et Deane pour croire que la premiere de ces graces souffre la moindre difficulté. D’anciens officiers qui se sacrifient pour un pays ne doivent pas le faire à leurs dépens. C’est d’ailleurs une loi universellement reçue, que tous ceux qu’on envoye au delà des mers, sont censés en activité et jouïssent par conséquent de leurs appointemens du jour qu’ils s’embarquent. D’après ce principe incontestable, et le grade accordé au S. De la Brosse, il paroit que les états unis lui seroient redevables d’une somme plus considérable que celle qu’il réclame; mais cet officier que l’amour de l’argent n’a jamais dominé, se renferme avec plaisir dans les bornes d’une juste modération. Il pousseroit même plus loin son désintéressement, si les rigueurs de la fortune lui laissoient encore le moyen de faire des sacrifices: si les secours de Messieurs Franklin et Deane ne lui étoient absolument necessaires, pour se remettre en equipage; enfin si pressé par de fatales circonstances, ce n’étoit pas les vêtemens et pour ainsi dire l’armure d’un soldat qu’il demande.

Le S. De la Brosse ne pense pas qu’on révoque en doute l’étendue de ses pertes. S’il étoit possible qu’il y eut des soupçons à cet égard, ses créanciers éxistent: il doit à l’un 2400 l.t. à l’autre 600 l.t.. On ne parle point de 1000 autres livres qu’il a dépensées à Portsmouth et qu’il doit partie à Madame la Comtesse de Pons, partie à M. De Montigni de Timeure, deux bienfaiteurs généreux qui ont bien voulu songer à lui dans son malheur. Messieurs Franklin et Deane savent de quelle maniere le S. De la Brosse a vu s’écouler cette modique, mais précieuse portion de sa fortune, tantôt perdant par un pillage régulier ses armes, et une fort belle canne à pomme d’or, tantôt volé par toutes sortes de gens qui lui ont pris une montre du même métal, et une grande partie de ses hardes, tantôt obligé de faire part du peu qui lui restoit à d’infortunés françois et Americains, plongés dans la derniere misère, tantôt enfin par une consommation prodigieuse de toutes choses, consommation qu’on ne peut éviter sur des vaisseaux dans la triste situation où il s’est trouvé: en un mot il ne lui reste rien. S’il n’avoit pas dessein de repasser en Amérique, Messieurs Franklin et Deane n’en seroient pas moins obligés de lui rendre ce qu’il a perdu, et de le remettre dans l’état où ils l’ont trouvé. Combien donc ne lui doivent ils point, lorsqu’au sortir de la plus affreuse captivité, quand sa santé a été alterée, sa vie même en danger, il oublie tout, et n’aspire qu’au bonheur de servir peur pays?

Ce dernier avantage est surtout l’objet des desirs du S. De la Brosse: la cause de l’Amérique est celle de son coeur: et l’affection qu’il a pour les etats unis est telle, qu’il n’ose en exprimer tous les mouvemens. Cet officier, au reste, n’avance rien qui ne soit connu de M. Du Bourg ancien ami de Messieurs Franklin et Deane, de M. Carmichall américain et homme de mérite, de Monsieur Deane lui même qui le témoigna l’année passée d’une maniere si énergique, lorsque embrassant le S. De la Brosse au moment de son départ, il lui dit “La Brosse, je ne vois plus en vous un François, je vous regarde comme un compatriote, comme un Americain.” Le S. De la Brosse ne rappelleroit pas cette circonstance, si elle n’avoit fait sur lui une impression qui ne s’effacera jamais.

Sans doute on n’exigera pas qu’en offrant ses services, un officier fasse son propre éloge. Le S. De la Brosse est le premier a reconnoitre le peu de maturité de ses talens, mais il se croit aussi en droit de dire qu’il a toujours joui de l’approbation de ses superieurs, vérité qu’on mettra s’il le faut dans tout son jour. Peu de gens ont le bonheur d’avoir une réputation faite; et ceux là ordinairement sont retenus dans le sein d’une patrie jalouse. Les vieux Etats ne donnent aux nouveaux que des hommes nouveaux, des hommes en qui le besoin d’une considération trop difficile à acquerir dans les lieux de leur naissance, s’est fait sentir, des hommes enfin que les difficultés irritent, que l’enthousiasme enflamme, et en qui la nature peut avoir placé un germe que des climats étrangers développeroient. Tel est peut être le S. De la Brosse. Le refus qu’il a fait en Angleterre d’une parole d’honneur, au prix de laquelle on vouloit mettre sa liberté, ce refus, dis je, qui a prolongé sa captivité, qui l’a même exposé à la voir durer plusieurs années, prouve tout à la fois sa delicatesse et sa fermeté. Quant à ses services, il a porté vingt deux ans les armes; et il y en a six qu’il est capitaine. Il sait l’allemand, entend l’anglois, connoit d’autres langues, et n’est point ignorant en politique. Enfin, s’il faut le dire, tous les Américains avec qui il s’est trouvé, l’honnorent de leur estime.

Quelques uns même comme Messieurs Franklin et Deane le savent, en ont traçé dans leurs lettres un portrait extrêmement avantageux. Tant de motifs ne peuvent guère manquer d’intéresser en faveur du S. De la Brosse la bonté de ces Messieurs; aussi le dit Sieur espere-t-il qu’ils voudront bien avoir égard à la justice de ses demandes, et lui rouvrir une carriere dans laquelle son zéle lui persuade, qu’il pourroit, en se distinguant, être de quelque utilité à leur pays.

Endorsed: Note sur le Sr. de La Brosse
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