From Louis-Guillaume Le Veillard (unpublished)
Passy 10 oct. 1788
Mon cher amy,

La suppression de nos Paquebots prolonge cruellement la distance qui nous sépare; je n’ai reçu que la fin du mois dernier vostre lettre du huit Juin et on a eu de vos nouvelles depuis cette datte; vous avez été vivement attaqué par la goute et la gravelle, et l’altération de vostre écriture prouve que vous avez beaucoup souffert, nous attendons avéc impatience une lettre de vous plus satisfaisante.

La face de nos affaires est absolument changée depuis ma derniere. L’archevêque et le garde des sceaux en horreur a la nation sont renvoyés après avoir entierement epuisé le tresor royal et le credit, le Roy n’auroit pas trouvé a vingt pour cent, Mr. Lambert soy disant controleur general a donné sa démission; Mr. Neker Directeur general des finances, admis au conseil et par conséquent ministre, les tribunaux rétablis et deja menacant, les exilés rappellés; les etats generaux annoncés pour le mois de Janvier 1789, tous les citoyens invités a prendre et a donner des lumieres sur l’état present des affaires, enfin les notables assemblés une seconde fois pour donner leur avis et fixer l’opinion publique sur la maniere de convoquer, d’élire et de composer les etats generaux promettent un nouvel ordre de choses, mais il sera difficile, il me paroist meme impossible d’avoir les états generaux au mois de janvier, La pluspart des intentions paroissent se réunir pour donner la preponderance au tiers état qui dans la realité est la nation, car si le Roy convient aujourdhuy [qu’il n’a?] sa puissance que du consentement de la nation, les prêtres et les nobles sont obliges de convenir aussi qu’ils ne tiennent eurs prérogatives et leurs privileges que du consentement de cette même nation, il éxiste donc une Nation avant les Rois les prêtres et les Nobles et c’est elle que doivent représenter les etats generaux, il faut donc quils soient composés par elle, et c’est a elle de confirmer, supprimer, ou réctifier les pretentions.

Vous me dites donc, mon cher amy: “you are not so considerate, you are a hard Task-master, you insist on his writing his life, already a long work, and at the same Time would have him continually employ’d in augmenting the subject, while the time shortens in which the work is [to] be executed.” Permettez-moy de vous rappeller que dans vostre précédente lettre du 22 avril dernier vous m’avez écrit: “I have come to a resolution to proceed in that Work to morrow, and continue at it daily till finished which if my health permits, may be in the course of the ensuing summer as it goes on, I will have a copy made for you, and you may expect to receive a part by the next Pacquet” et ce Pacquet et ces Pacquets sont venus sans cette copie, et je ne la desire cette copie que pour vostre gloire et le bonheur du genre humain, vous avez a present entiere liberté, j’espere donc que vous vous occupez a remplir cette tache, j’ay présque dit ce devoir.

Nous sommes innondés de pamphlets mémoires et brochures sur les états généraux; chacun les compose, les instruit et les dirige a sa guise, et, comme dit un écrivain, nous les desirons fort, mais nous ne savons comment nous y prendre. MM. Target, de la Cretelle et d’Entragues se sont distingués, ce dernier est le moins bon, et malgré l’invitation du gouvernement a écrire et la liberté présque générale il est rigoureusement deffendu; mais il y a un ouvrage qui domine tous les autres comme un géant sur des Pigmees; plus hardy qu’aucun d’eux, il se débite cependant sans contradiction c’est celuy de Mr. de Mirabeau sur la Monarchie Prussienne, il est en 8 volumes in 8º et un atlas et fort cher, c’est l’histoire du gouvernement Prussien sous tous les rapports il les discute et les generalise de maniere que l’examen critique de chaque objet s’applique naturellement a tous les etats, a tous les Rois et particulièrement a la france; je ne vous en citerai qu’un Passage; il est question de banques nationnales, il les trouve dangereuses quand elles sont entre les mains des particuliers; “mais”, dit-il, “comment l’appellerez-vous la ou l’administration qui n’a nulle idée des rapports, qui ne sait pas chiffrer, dont toutes les dépenses sont de la plus aride sterilité, tiendra, si la banque, soit de virement, soit circulante, soit d’emprunt est entre ses mains, le redoutable moyen de jouir des richesses de tous ses sujets, de doubler ses depenses? Si vous connoissez les souverains, si vous avez étudié ces infortunés contre qui tout conspire, nature, éducation, habitude, courtisans, nationnaux, étrangers, prêtres, philosophes même, puisque connoissant la verité ils manquent de courage pour la dire; dites nous en quelles mains cet inépuisable moyen d’abuser seroit plus dangereux? Soit ignorance de calcul, de l’objet, de son influence, soit violence des passions irréfrénables qui foulent aux pieds toutes considérations; soit sterilité d’emplois, osez repondre que dans la banque des virements ils ne se saisiront pas des fonds déposés; que dans celles des Billets, ils ne feront pas un double employ des revenus de l’état, et que dans tous les cas, la ruine de la circulation, du commerce et de la bonne foy ne dépende pas de celuy qui doit estre le plus ignorant, le plus immodéré, le plus absolu et le moins moral des hommes?” et ce livre se vend publiquement! en france! a Paris et a versailles!

Vostre amy le Roy George est fort mal; il a perdu la teste et la crainte qu’on a de son successeur cause une grande consternation en angleterre.

27 nov. 1788

Une nouvelle allarme, mon cher amy, se joingt a tous nos malheurs; on appréhende une famine, la grêle a été si forte et tellement étendue, les Bleds qu’elle a épargnes rendent si peu, ceux qu’on a semés sont si mal plantés a cause de la secheresse, que nous sommes menacés d’une grande disette; le pain est d’autant’plus cher a Paris que les moulins a eau en manquent, et que la rivierre ne peut porter que de petits Batteaux ou des grands a mi-charge, le froid subit et éxcessif la fait charrier aujourdhuy et sous peu de jours elle sera prise, on promet des primes a ceux qui nous apporteront vos bleds et on a renouvellé l’inutile deffense d’exporter, la chereté du grain n’en permettant pas l’idée; on a peut estre voulu calmer les imaginations, mais on ne sent pas que la pleine liberté vient d’estre autentiquement établie, qu’elle seule peut assurer a jamais le prix moyen du bled mais qu’elle ne peut le faire que lorsque vingt années de cette liberte bien entiere auront etabli la securité des capitalistes. Il seroit bien plus raisonnable de deffendre la poudre a poudrer et les dragées [ou l’on?] employe l’amidon.

La chaine qui nous attache ici ne nous a jamais paru si lourde et nous navons jamais tant souhaité d’estre avéc vous, ne croyez pas cependant que la crainte de calamites passageres et auxquelles il est vraisemblable que nous ne succomberons pas, soit nostre plus grand motif; le souvenir des heureux momens passés avec vous dont nous nous entretenons sans cesse et les sentiments de cette vive amitié qui nous attache a vous pour jamais sont et seront toujours la cause principale du desir extrême que nous avons de vous revoir. Je vous embrasse de toute la force de mon affection

Le Veillard

p.s. Les miens, c’est a dire, ma femme, ma fille et mon fils, qui est a present avéc moy, vous presentent leurs respects et amitiés voulez vous bien vous charger de la même commission pour monsieur et madame Bache et monsieur Benjamin. Tous nos amis ne me voyent point sans me demander de vos nouvelles et sans me charger de respects et de compliments pour vous.
Addressed: A Monsieur / Monsieur franklin ancien président du conseil éxécutif de Pensylvanie / A Philadelphie
644282 = 046-u093.html