Passy 6 janv. 1786
(3eme)
Je viens de recevoir vostre lettre, mon cher amy, monsieur de
Jefferson vient de me l’envoyer, je conviens que le sermon contenu
dans ma derniere devient assez inutile mais convenez que j’avois
raison alors, et que vous aviez même tort de n’avoir rien écrit
des la premiere occasion, car enfin sur le vaisseau vous aviez eu
tout le temps de faire un billet et de linserer dans ma lettre,
mais enfin vous avez écrit, n’en parlons plus; je suis cependant
inquiet de vostre lettre je l’ai envoyée sur le champ et 3 jours
après on ma écrit qu’on étoit dans l’impatience qu’on savoit le
retour d’houdon et qu’on n’avoit point de lettre, j’ay repondu sur
le champ et je ne fermerai certainement point celle ly que cette
affaire ne soit tirée au clair.
Je n’ai point encore vu houdon et je n’ai point recu de lettre
par luy, j’ay été chez luy sans le trouver, par quel hazard n’a
t’il rien rapporté pour moy, vous n’étez pas a Philadelphie a son
depart ainsi je ne me plains pas de vous, mais vostre grand Papa!
est ce qu’il ne m’aime plus? ma til oublié? Je vous avoue que rien
au monde ne me seroit plus sensible, et ce malheureux Benjamin qui
ne sait pas écrire une panse d’a vraisembleblement quand il
travaillera il trouvera plus commode de m’imprimer quelques lignes
que de se servir de sa plume!
Je viens de voir Mr. houdon, il na point apporté de lettres pour
nous a cause de l’incertitude du moment de son départ, ses effets
ne luy auront pas été d’une grande utilité car ils pourroient bien
n’estre pas encore arrivés en amérique, il me semble que le
deffaut de connoissance de la langue luy a été fort incommode et
la mis peu a portée de s’instruire de la situation politique de
vostre pays, j’attends de vous mon amy des éclaircissements sur
cet objet et relativement a la consistence actuelle du congrès, de
celle qu’il est probable qu’il aura et enfin de celle qu’il
faudroit qu’il eut. Je sais que la Pensylvanie est divisée en deux
factions dont une veut la changer et penche vers l’aristocratie;
que les riches et la plus part des amis de vostre grand pere et
vous peut estre forment la derniere; instruisez moy sur cet objet
vous avez deux possessions considerables situées chacune dans un
different état, dans lequel habiterez vous? Peut on estre cytoien
de deux et lequel sera le vostre? Vous ne me saurez pas mauvais
gré jespere de ma curiosité, vous estes sur que c’est en grande
partie vostre interest qui me l’inspire.
Je reçois des nouvelles de S[aint]. G[ermain]. on a vostre
paquet, et voici une lettre pour vous, l’obliquité de la
correspondance avoit retardé sa reddition mais tout est reparé.
27 janv. 1786
Enfin j’ay une lettre du cher Benjamin du 13 8bre il ne m’a
point oublié dites luy je vous prie que le jour même j’ay remis
celle pour Mr. Didot. J’en ai une aussi du grandpapa du 20 du même
mois, il m’apprend que sa bonne santé se soutient, quil vous
attend le lendemain et qu’il sera par conséquent trop tard pour
que vous m’écriviez, je suis bien aise au moins d’avoir cela a
dire. Vous croyez bien aussi que je desire vivement qu’il
n’éprouve pas les chagrins que les divisions de l’état de
Pensylvanie doivent luy faire craindre, s’il est possible que les
esprits puissent se reünir, sa sagesse et la haute considération
dont il jouit doivent l’opérer; il est plus que probable que son
opinion sera pour le meilleur parti, qu’il saura bien la motiver
et que personne ne pourra le soupconner d’aucune vue d’ambition;
pour moy je vous avoue que si le parti qui veut la réforme
l’emporte, je regretterai la simplicité de vostre premiere
constitution que je trouve a cet egard superieure a toutes les
autres dont la legislature est a la maniere anglaise partagée en
deux corps, ce qui ne peut que nuire et embarasser les affaires.
Que je serai faché que le conseil éxécutif ne soit plus élu par le
peuple, cependant s’il n’en résulte pas une disposition a
l’aristocratie, je conviens que l’administration seroit plus
simple et par conséquent meilleure si le conseil étoit renfermé
dans la législature, mais par le choix du peuple. Le prétexte de
son incapacité n’est pas raisonnable, dans un etat nouveau dont
les loix et les rapports sont simples l’administration est facile
et d’ailleurs la plus grande partie du conseil restant chaque
année en place doit former les nouveaux conseillers; dans la
Virginie ou ils sont choisis pour un temps illimité par les deux
corps de la legislature qui doivent en oter deux, non pas tour a
tour, mais a leur volonté tous les ans, messieurs les conseillers
dans la crainte destre renvoyés, et présque tous d’ailleurs
créatures de ceux qui les ont nommés, sont leurs tres humbles
valets. J’espere, mon amy,que vous vous separerez difficilement
d’opinion avéc le grand homme a qui vous avez le bonheur de tenir
de si près.
Madame de Malachel (Mademoiselle de Jouy) est grosse et sa soeur
est accouchée d’un garcon mercredy dernier 25, elle le nourrit et
se porte bien. Nous avons perdu la semaine passée Mr. Wattelet,
vous voyez que partout ce monde va et vient; vos chevreuils sont a
la menagerie du Roy ou ils sont traités royalement jusqu’a ce que
le temps et l’occasion de voyage se rencontrent. Jay lu avéc
plaisir dans le voyage de Cooke que près de deux, [ans] je crois,
après son depart il avoit encore vivans des animaux embarqués en
Angletere, je voudrois trouver son pareil pour vous envoyer vos
chevreuils.
29 janv.
Bon, bon, voila vos deux lettres des 8 et 9 novembre qui
m’arrivent aussi, celle pour la poste y est deja mise et je vais
m’occuper de vos autres commissions, mais je ne comprends pas trop
bien celle de vos arbres, est ce que vous en aviez emporté de tout
grands en amérique? Déplantés en juillet, il netoit pas possible
qu’il vécussent. Je ne crois pas même qu’il soit possible a
present de vous les faire parvenir assez tot, le vray temps de les
envoyer est le mois d’octobre, je verrai Mr. Williams et je
concerteray avec luy pour faire le mieux. Je dois avoir demain vos
livres et je les envoye tout encaissés a Mr. Grand il y joindra la
graine de cardon et le tout vous parviendra jespere par le 1er
Paquebot, en attendant j’envoye toujours cette lettre et une pour
le grand papa chez Mr. de Jefferson qui m’a dit avoir une occasion
sure; vraisemblablement vous en recevrez encore une autre sur mes
operations ulterieures, adieu mon cher amy, je suis a vous pour la
vie
Ma femme et ma fille me demandent a chaque lettre que je recois
de vous, quand vous revenez, je vous assure que vous serez bien
reçu ici. Informez vous je vous prie si le bois de mohogonai ou
d’acajou est commun et par conséquent a un prix modéré chez vous,
si cela etoit, je desirerois de men procurer une patite partie de
8 a 10 louis propre a faire des tables et secretaires etc. d’une
assez grande dimention; vous me feriez cette emplette et vous
l’addresseriez a l’orient a Mr. de la Vaisse negotiant ou au havre
a messieurs fouache pour mon compte. Vous m’enverriez la note de
ce que vous auriez depensé, je le remettrois a Mr. Grand ou je
l’employerois a des commissions pour vous, mais si ce bois est
cher ou plus cher qu’ailleurs ne m’acheptez rien.