Quoy, mon amy, point de lettre de vous, pas même pour…on est bien en colere, bien affligée, on pleure…et je ne puis pas trop vous excuser, car je suis moy même faché contre vous, non pas de ce que vous ne m’avez pas écrit, je sens que vous avez été surchargé d’affaires et je suis sur que vous ne m’oublierez pas tout a fait, mais de ce que vous vous conduisez si negligemment a legard de cette malheureuse femme; quand vous ne l’aimeriez plus, songez que vous devez contribuer autant qu’il est en vous a son bonheur et souvenez vous de ce quelle a fait pour le vostre.
Vos chevreuils sont a la menagerie du Roy, je profiterai lorsque le printemps sera venu de la premiere occasion de vous les envoyer, soyez certain que je ne negligerai rien de ce que je croirai vous faire plaisir; mais je crois que vous faites une folie de les faire venir en amerique, le passage vous coutera fort cher et certainement plusieurs periront, il faudrait pour bien éxécuter cette commission un capitaine Cooke qui après deux ans de la plus laborieuse navigation dans les climats les plus dissemblables, avait encore vivans des animaux embarqués en angletere. Dailleurs je vous ai deja mandé quil y avoit abondament des chevreuils en amerique et que Mr. de Bougainville m’avoit dit qu’il en avoit beaucoup vu et tué.
J’envoye au grandpapa l’etat actuel de l’affaire inimaginable du Cardinal de Rohan qui d’apres ce que m’a dit Mr. houdon a Southampton ne le surprendra que médiocrement, tous nos amis se portent bien, Melle Brillon a epousé Mr. de Malachelle il [y] a même deja longtemps, plus d’un mois, elle est fort maigre mais assez gaye. La maison d’ailly vous fait mille compliments, et mes femmes vous embrassent parceque de si loing, disent elles, c’est sans consequence. Madame de Chaumont est ici, plus malade, plus souffrante et plus afligée je crois que vous ne l’avez vue elle est horriblement changée, embrassez pour moy son fils, et Benjamin, et mr. houdon. N’oubliez pas nos arbres, et sil est encore temps ajoutez en une quarentaine pour madame la duchesse d’Enville, cette famille tres considerée ici est fort attachée a la vostre.
Le pauvre Mr. de la Motte est toujours sans place, etudiant en medecinne, il se recommande fortement a vous il se repent bien de ne vous avoir pas suivi en amerique. Les editeurs de la petite biblioteque du théatre nont pas eu assez de confiance en moy pour me confier vos exemplaires, malgré mes reclamations et celles de Mr. de la Motte ils les ont portés chez mr. Grand qui vous les fera passer. Quand a l’art Gammographique de mr. de Vausenville pour lequel vous avez payé six francs avéc promesse d’en payer 3 autres en retirant l’ouvrage, mr. de Vausenville est perdu et apparemment vos six francs aussi.
Adieu, adieu, adieu, malgré vos torts, vostre silence, vostre oubli, vostre éloignement etc. etc. je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur.