J’apprends dans le moment Mon Illustre Docteur qu’il y a un paquetbot qui part du Havre et je ne veux pas perdre cette occasion d’avoir l’honneur de vous écrire. Je vous dois d’abord toutes sortes de remercimens de la bonté que vous avez euë de m’envoyer le Diplôme de mon association à votre Savante Société. J’espere que vous voudrez bien lui en témoigner ma vive reconnoissance. Dans une lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire il y a déja plusieurs mois je vous mandois que nous n’avions rien ici de nouveau dans les Sciences. Nos chimistes sont toujours fort divisés et il y a tout à croire que ce ne sera que dans quelques années comme je crois vous l’avoir deja dit que nous saurons à quoi nous en tenir sur les nouveaux principes introduits dans cette Science. M. De Fourcroy medecin et chimiste et qui est un de nos confrères a publié un ouvrage en quatre volumes sur la chymie et sur l’histoire naturelle dans lequel on trouve ces nouveaux principes mais tout cela y est un peu trop étendu. Je compte vous envoyer dans quelque tems un autre ouvrage où ces Idees seront plus rapprochées. J’ai remis à M. Grand le rapport des commissions au sujet de l’hôtel Dieu et j’imagine que vous avez du le recevoir mais aujourdhui nous sommes comme les Anglois dans le tems du Parlement et lorsqu’on y agite de grandes questions l’assemblée des notables absorbe tout et on ne parle éxactement que de leurs delibérations leurs resolutions etc.
Les balons sont presqu’oubliés et sans Blanchard qui en soutient encore l’honneur on croiroit qu’ils n’ont jamais éxisté. Il doit partir de Valenciennes Lundy prochain mais avec un appareil nouveau son char devant être porté par trois ballons. J’aurai lhonneur de vous mander le resultat de la navigation aérienne.
Je ne sais ce que deviendront les pauvres gens de Javelle dont vous avez immortalisé la traversée de la seine dans La Lettre que vous avez fait l’honneur a mon frere de lui adresser car leur chef M. Bourboulon vient de faire une banqueroute frauduleuse et est en fuite pour ne jamais revenir. Mon frere comptoit Mon Illustre Docteur vous envoyer par ce pacquetbot un Exemplaire imprimé de la traduction que j’ai faite de votre lettre mais malheureusement elle n’etoit pas encore prête. Il a fallu qu’il remette et diffèrre à vous l’envoyer.
Quand je vous ai mandé que nous n’avions pas de nouvelles dans les sciences, j’entendois dans le continent car surement vous avez appris par les Gazettes la nouvelle de la découverte aussi brillante qu’extraordinaire qu’a faite M. Hirschel de deux Satellites à la planète et vous savez sans doute encore qu’il l’a faite en changeant l’appareil de son Télescope (qui est toujours de réflexion) ce changement consiste dans la suppression du petit miroir dans une petite inclinaison qu’on donne au grand et dans la position des oculaires au bout du Tube et adaptés à ce tube. Le croquis que je mets ici dessous vous en fera comprendre facilement la disposition M. Hirschel appelle cette maniere nouvelle de se servir du Télescope de reflexion The Front View. Adieu Mon Illustre Docteur. J’apprends avec grand plaisir que votre sante se soutient toujours bien. Il paroit que les douleurs que vous eprouviez ici sont fort calmées. M. De Buffon n’est pas si heureux que vous car il ne laisse pas de souffrir assez fréquemment, surtout les Nuits. Continuez à j[ouir] d’un état de santé si précieux à tous vos amis il [n’y en]a point je vous assurre qui fasse des voeux plus sincères que moi pour que vous en jouissiez j[usqu’à] l’age de Nestor et pour qu’il soit dit que vous soyez en tout Un Phénomene extraordinaire pour les races futures