Procès-verbaux de l’Académie des Sciences Vol. CIII, Fol. 91
M.M. Franklin, Le Roy, Coulomb, Delaplace et l’abbé Rochon, ont
fait le rapport suivant.
M. le Maréchal de Ségur ayant envoyé à l’Acad[émi]e deux
projets, pour armer de paratonnerres, les magasins à poudre de la
Ville de Marseille et mandé dans la Lettre qui les accompagnoit,
que le Roi desiroit que la compagnie les fit examiner et en donnât
son avis, l’Academie nous a nommés pour lui en rendre compte. Nous
allons le faire avec tout le soin que demande un sujet de cette
importance, non seulement par la nature de son objet, mais aussi
par les heureux effets qui en résulteront. Car rien n’est plus
propre à multiplier de toutes parts les paratonnerres, que
l’exemple que donnera Sa Majesté en en faisant armer les magasins
à poudre de son Royaume.
Mais avant de parler des projets que nous avons été chargés
d’examiner, il ne sera pas inutile de rappeller en peu de mots la
théorie qui doit servir de guide dans l’établissement des
Paratonnerres ou des conducteurs.
Pour armer un édifice quelconque de maniére a le mettre à l’abry
de la foudre, au moyen d’un ou de plusieurs conducteurs, il y a
differentes circonstances auxquelles on doit avoir une attention
particuliére.
1º Il est nécéssaire de connoître ou de déterminer qu’elle
est son étendue, afin de décider s’il faudra en mettre un ou
plusieurs, car c’est un point sur lequel il est important de
statuer avant de rien entreprendre. Malheureusement les
expériences électriques, ne nous ont encore rien appris qui puisse
nous mener à connoître l’étendue de la sphère d’action de la
pointe d’un conducteur; mais depuis qu’on en a armé des Edifices,
plusieurs observations nous ont appris que des parties de ces
Edifices qui se sont trouvées à une distance de plus de quarante
cinq pieds de la pointe du conducteur, ont été foudroyees, d’où il
suit tout naturellement qu’il faut les placer de manière que leur
sphère d’action n’ait à défendre que des parties situées à une
moindre distance.
2º Lorsqu’il y a plusieurs pointes ou flèches sur un édifice,
il faut les faire bien communiquer ensemble et faire communiquer
de même toutes les parties du comble de l’Edifice qui sont
recouvertes en plomb ou qui ont quelqu’autre métal, comme des
pointes en fer appartenant à des Girouettes, ou à quelques
ornements, afin que le tout ne fasse qu’un systême de corps
métalliques qui avec les barres de transmission soit propre à
faire passer la matière fulminante du haut en bas de l’édifice, de
quelque part qu’elle vienne.
3º Il n’est pas moins important que ces barres soient
intimement unies entre elles, afin que cette matière ne trouve
aucune résistance dans son passage de haut en bas. Car la solution
de continuité dans ces barres, produit toujours une résistance
plus ou moins grande, sélon l’étendue de leur séparation; parce
qu’il faut alors que la matière fulminante ou électrique saute de
l’une à l’autre de ces barres.
4º Enfin, il faut qu’elles communiquent bien exactement avec
la Terre humide, ou mieux encore avec l’eau, pour qu’il y ait un
passage facile et toujours ouvert le long de ces barres de
transmission avec la masse de la terre ou le grand reservoir
commun de la matière électrique.
Quant à la hauteur des pointes, elle doit être au moins de 12 ou
15 pieds et plus même, si l’édifice est fort grand; ce qu’il y a
de certain, c’est que plus elles seront élevées, plus leur sphère
d’activité s’étendra à une grande distance. On leur donnera deux
pouces en quarré par en bas et même plus en proportion de ce que
leur hauteur excédera celle de 15 pieds. Et quant à la grosseur
des barres de transmission, il pareît qu’en leur donnant de huit à
10 lignes en quarré, ou un pouce tout au plus, cette grosseur sera
plus que suffisante pour qu’elles transmettent la matière
fulminante du plus violent coup de tonnerre. Ce qu’il y a de
certain c’est que l’observation ne nous a encore fourni aucun
exemple de barres de fer de cette grosseur qui aient été en aucune
façon fondue ou altérée par le passage de la foudre.
Aprés ces notions préliminaires sur la maniére d’établir les
conducteurs et sur les dimensions qu’on doit donner aux parties
dont ils sont composés, il faut en venir à l’examen des deux
projets pour armer les magasins à poudre de Marseille, envoyés par
M. le Maréchal de Ségur et signés par M.M. Ravel, de Puy Comtal et
Pierron l’un officier dans le corps royal d’artillerie (?) l’autre
dans ce corps royal du Génie.
Ces deux projets ont été formés pour le même magasin qui a 3i
toises de long sur 8 de large ou à peu près. Dans le prémier on
établit trois pointes ou flèches, sur le faîtage du magasin et
dans sa longueur. A celles ci on en ajoûte quatre autres placées
réspectivement à chaque angle du bâtiment. Dans le second projet
on place de même trois pointes sur le faîtage, mais au lieu d’en
mettre aux quatre angles du bâtiment, on les établit en quinquonce
des deux côtés du toît avec des barres de fer de transmission
horisontales qui régnent tout le long et qui font communiquer ces
pointes les unes avec les autres.
Quant à la maniére dont elles sont arrêtées ou scellées sur le
faîtage dont les barres de transmission sont assemblées les unes
avec les autres; enfin dont elles vont se rendre dans l’eau, elle
est la même pour les deux projets. Rn jettant un coup d’oeil sur
les déssins, l’académie concévra sans peine tout ce que nous
venons d’exposer sur la nature de l’un et de l’autre.
Pour prononcer sur celui des deux qui doit être préféré, nous
remarquerons que le second avec les barres de transmission
couchées horisontalement le long du toît, entraîneroit une trop
grande dépense et qui ne paroît pas nécéssaire; mais pour les
pointes qu’on y employe, il faut les conserver, seulement, au lieu
de les placer en quinconce comme on le propose dans ce projet, on
les établira de maniére que chacune d’elles réponde exactement à
la moitié de l’intervalle qui
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se trouve entre la
pointe du milieu du faîtage et celle de l’extremité. Et au lieu de
faire communiquer ces pointes ensemble par des barres de
transmission couchées le long du toît, on les fera communiquer
avec celles du faîtage par des barres qui viendront les joindre
perpendiculairement en rampant le long du toît. Par là on auroit
également la communication intime de toutes les pointes sans la
dépense que [sic] entraîneroit des barres couchées horisontalement
tout autour du toît. Ce point réglé il faut passer à l’examen de
la manière dont on propose de réunir ou d’assembler les
differentes parties des paratonnérres de ces deux Projets.
Il paroît que M.M. Pierron et de Ravel, auteurs de ces projets,
pénétrés de la nécessité d’établir une communication bien intime
entre ces parties, ont crû qu’on ne devoit jamais épargner rien
pour y parvenir, mais nous ne pouvons nous empêcher de penser que
ces Messieurs ont poussé trop loin le scrupule à cet égard, et que
la manière dont ils proposent d’unir ensemble toutes les parties
de leur systême conducteur, comporteroit trop de travail et une
dépense superflue. En effet, les vis aux extremités des barres de
transmission, les écrous dans les espèces de pitons chargés de les
recevoir, ne manqueroient pas de demander des frais assés
considérables pour être bien faits et remplir leur objet. Nous
croyons qu’on pourroit y procéder plus simplement: voici en
conséquence comment nous pensons qu’on pourroit armer ces
magasins, en parlant d’après ce qui nous est exposé et en
réunissant dans l’établissemt. de leurs paratonnérres la solidité
et tout ce que [sic pour: qui] peut en assurer l’effet à
l’economie, conformément à ce que paroît désirer M. le M.al de
Ségur, selon les termes de sa Lettre.
On conservera les jambes de force des flèches dans les magasins
à poudre qu’on se propose d’armer à Marseille et dans d’autres
Ports où ils se trouvent exposés à de grands vents de Mer, mais
dans d’autres magasins situés dans l’intérieur du Royaume, on
pense qu’on pourroit s’en passer, l’expérience ayant montré que
des pointes avec les dimensions qui sont indiquées dans les
déssins, sont suffisantes pour résister aux efforts des vents
qu’on y éprouve; mais on donnera plus de hauteur aux fleches en la
portant jusqu’à 15 pieds, au bas de chaque flèche, et
immédiattement au dessus de l’endroit où elle sera scellée, dans
la pierre de taille on pratiquera ou on réservera de chaque côté
une oreille circulaire ayant deux pouces de diamètre ou à peu près
et deux lignes d’épaisseur. On y fera au centre un trou de 5
lignes de diamètre, au bout de la prémiére barre de transmission
qui sera attachée à cette flèche, on pratiquera une oreille toute
semblable. On en fera autant à l’autre bout, de manière que toutes
les barres de transmission auront ainsi une oreille à chacune de
leurs extremités. Pour faire la réunion de toutes ces parties les
unes avec les autres, on appliquera l’oreille d’une de ces barres
contre celle d’une autre en mettant entre deux une lame de plomb.
Et au moyen d’un écrou entrant sur une vis à tête et dont la tige
passera à travers l’oeil de ces oreilles, on les serrera fortement
l’une contre l’autre. De cette manière ces barres seront bien
assemblées les unes avec les autres; on pourra les séparer
facilement et cet ajustement sera très facile a executer. Pour
soutenir ces barres de transmission le long du toît, on pourra
établir et sceller dans la pierre de taille de distance en
distance, des pitons, fendus par en haut, pour les récévoir. Quant
à la position et à la distribution des pointes ou des fleches, on
les établira comme nous l’avons proposé, trois sur le faîte et
deux de chaque côté du toît répondant réspectivement au milieu de
l’intervalle entre la flèche du milieu du bâtiment et celle de
l’extremité. Ces pointes du toît communiqueront avec les barres de
transmission régnant le long du faîtage, comme nous l’avons dit
plus haut et s’eleveront de manière a déborder ce faîtage au moins
de six pieds. Par cette disposition des differentes pointes de ce
bâtiment, il se trouvera que toutes les parties de son comble
seront bien défendues par ces pointes n’y en ayant aucunes qui ne
soient fort en dedans de la sphère d’activité dont nous avons
parlé. On ne peut qu’applaudir d’ailleurs à la manière dont on a
fait communiquer les barres de transmission à l’eau en les ménant
jusqu’à la Mer. Cependant si à l’autre extremité du bâtiment il se
trouvoit de la terre à la superficie et que le sol ne fut pas
entierement du Rocher, on pourroit y faire déscendre des barres de
transmission de la pointe placée à cette extremité: cela pourroit
servir à diminuer l’espace que la matière fulminante auroit à
parcourir de l’autre côté. La maniere dont les pointes en cuivre
sont adaptées à la flèche est bien, on les ajuste ici à vis, l’une
et l’autre méthode sont bonnes, mais par la dernière, on peut
démonter facilement cette pointe et c’est un avantage, car cela
est quelquefois nécéssaire; on en a vû de fondus par le passage de
la matière fulminante, dans un coup de Tonnerre.
Telles sont les observations que nous avons crû devoir faire sur
les deux projets, pour armer de paratonnères les magasins en
poudre de la Ville de Marseille, que M. le M.al de Ségur a
envoyés à l’Académie, ainsi que les changements que nous avons crû
devoir proposer à la manière de faire communiquer ensemble, toutes
les differentes parties de l’appareil. Mais avant de terminer ce
rapport nous devons à M.M. Ravel de Puy comtal et Pierron, la
justice de dire qu’on reconnoit par la manière dont leurs projets
sont conçus, qu’ils entendent très bien la matière et qu’ils sont
très en état de faire armer de paratonnères, les magasins à poudre
que M. le M.al de Ségur, les chargera de défendre contre les
ravages de la foudre.”
Académie royale des sciences, procès-verbaux, tome CIII, fol. 90
vº-95 rº (séance du samedi 24 avril 1784).