J’ai tout le Respect possible pour M. l’abbé Paillé et Je serai toujours prêt à lui temoigner mon zéle et mon parfait Devouëment; Je n’ai pas eu l’honneur de le voir et on ne sçait quand il sera de retour d’un Voyage qu’il fait dans un Caton du Diocèse. Seroit’il nécessaire de vous parler de la parfaite et respectueuse Obéissance que Je me trouverois glorieux de prouver à son Eminence Monseigneur le Cardinal, et de la haute Estime que Je dois à Mr. son Neveu, comme ayant le Bonheur de lui appartenir; pour vous convaincre du Désir que J’ai d’opérer votre Guerison ? Soyez bien persuadé qu’il me suffit que vous soyez homme et moi aussi, pour que Je connoisse les obligations que nous avons reciproquement de soulager l’humanité souffrante.
Je puis vous affirmer que vous n’avez qu’à vous regarder comme bien voisin de votre Guérison; oui, vous le serez dans un mois au plus à partir du 1er. Jour de votre Traitement. Vous avez bien fait de me parler de votre bon Temperament; et vous jouirez du grand avantage que ressentent ceux qui ont eû la prudence de ne pas se livrer aux Excès.
Puisque le Chirurgien a trouvé votre Pierre avec la Sonde, elle n’est ni enquistée, n’y incrustée, le Reméde l’atteindra, la dissoudra, et elle passera peu à peu reduite en Debris; c’est-à dire en petits graviers, Glaires et limons, le tout mêlé avec les Urines; il sera aisé de reconnoitre ces Debris en laissant deposer toutes vos Urines dans des Vases lucides; ou grands Gobelets de Cristal ou de Verre; après le Depôt de chacune, on repend doucement le Clair de l’Urine, on reserre le fond, on le met sur des ardoises, on laisse désecher et avec un microscope on s’assure de la qualité du Sediment. On continue ainsi jusqu’à ce que les Urines soient devenues belles et à leur Etat naturel, ce qui annonce la Guerison, ainsi que la Cessation du mal, le Sommeil tranquille et la Gaÿté dont vous jouirez. Pendant tout le Temps du Traitement vous pouvez vaquer à celles de vos occupations qui ne sont pas fatigantes, et abandonner les autres, ainsi que tout Voyage soit de cheval soit en Voiture.
Les Médecins ou Chirurgiens qui vous ont gouverné le faisoient avec autant de lumieres que de Prudence; et Je regrette pour vous que vous ayez suivi le Conseil du Md. d’oignons. Monseigneur de Grimaldi qui aura toujours part à mon Estime la plus respectueuse; vous avoit aussi enseigné un tres bon Remede, la médecine n’en connoit pas de plus calmant, mais il est toutesfois insuffisant pour dissoudre la pierre formée, il ne peut que faire évacuer les Sables et Glaires à fur et à mésure qu’elles se forment.
Cette cruelle maladie prend son Principe dans la Digestion, et l’humeur qui doit former la Glaire étant d’Espéce gluante, trouve en passant dans les Rognons, de petites Cellules, s’y loge, s’y épaissit, s’y durcit par la chaleur naturelle; une autre glaire s’y joint, y adhére, en grossit le Volume, une troisieme fait de même etc.; Jusqu’à ce qu’enfin elle s’en detache pour tomber dans la Vessie; mais il faut pour cela que l’uretre se dilate à proportion du Volume du Gravier ou de la petite pierre qui doit passer, ce qui cause les Cruelles Douleurs qu’on éprouve dans ces tristes Moments. Toutes les Glaires ne sejournent pas dans les Reins, il en passe une Quantité qui en tombant dans la Vaissie adherent aux graviers qui s’y trouvent, les reunit plusieurs ensemble, en augmente le Volume, ce qui forme ce qu’on appelle le Calcul humain, qui se grossit plus ou moins et suivant que le Temperament est porté à faire plus ou moins de glaires, et se durcit aussi à proportion de la chaleur du graveleux.
Il est donc question d’attaquer ce redoutable ennemi dans tous ses forts, de le poursuivre dans tous ses Retranchements, de le combattre, de le vaincre, de le détruire. La Physique, La Chimie, la Medecine sont enfin parvenues à cet heureux degré de Connoissance; on a decouvert différentes Proprietés de l’air fixe, entre autres celles de dissoudre les Pierres calcaires; on l’a appliqué au calcul humain; on a vû avec autant d’étonnement que d’admiration ses Effets prompts et satisfaisants, même au delà de ce qu’on pouvoit espérer. Un Docteur Anglois, le Célèbre Nathaniel Hulme, a été assez heureux pour en faire le premier l’heureuse Expérience sur un Domestique de soixante treize ans; J’ai l’repétée avec tout le Succes en 1760, sur un Bordager de 50 à 60 ans, au mois d’Août et 7bre., et enfin depuis Août 1784 c.a.d. cette Année plus de cent fois et toujours avec Satisfaction; Je crois que c’en est assez pour vous dire, Monsieur, vous serez gueri. Pour y parvenir vous aurez donc l’attention de prendre le Sel alkali fixe de Tartre et l’Esprit de Vitriol foible à des heures marquées; vous ne ferez qu’autant de repas que vous voudrez et suivant votre usage. mais vous observerez de laisser au moins deux heures de Distance entre chaque Dose du Remede et vos Repas, afin de ne pas interrompre l’Effet du Reméde. Aulieu de prendre le sel alkali un jour et l’Esprit de vitriol l’autre, vous prendrez l’un et l’autre quatre fois par Jour, et ne laisserez au plus qu’un quart d’heure de distance entre les deux Remedes. Vous continuerez ainsi jusqu’à Guérison, en observant encore de suivre l’augmentation des doses de l’une et de l’autre Drogue dès le 13 ou 14eme. Jour jusqu’à la fin. Je vous exhorte à appeller votre medecin ou Chirurgien pour presider à votre Traitement; il est ou il sont habiles, votre Lettre me l’a prouvé.
Je vous prie de me recrire et de me marquer avec attention ce qui se sera passé chaque Jour; c’est toujours pour vous que Je le demande, et Je sçais que j’aurai choses interessantes à vous marquer suivant l’Etat où vous vous trouverez. comptez sur moi et ne m’épargnez pas; Je n’ai pas de plus grand plaisir que celui d’être utile; Je suis l’ami de l’humanité, c’est le surnom glorieux qu’on m’a donné et Je suis jaloux de le meriter; J’ai soustrait à la cruelle opération de la lithotomie, et peut être à la mort plus de deux cents personne qui m’appellent leur Pere, et Je le suis aussi, Je les porte tous dans mon coeur. Vous serez du Nombre, vous augmenterez ma Joie qui redoublera par la Persuasion où Je suis de votre Probité et de votre Merite; votre attachement au Service de la Famille et ensuite à la Personne de son Eminence; graces qui ne sont accordées par des Seigneurs de si haute Naissance et de si haut Rang, qu’a des officiers bien connus.
Comme vous marquez que c’est par l’ordre de Son Eminence que vous m’avez écrit; et que sans doute vous l’informerez de ma Reponse, Je vous prie de lui présenter les assurances de ma tres respectueuse obeissance; et en cela vous obligerez celui qui est avec un zélé devouement Monsieur, Votre très tres humble et tres obeissant Serviteur