From Baron Janus Zreny (unpublished)
	
	Bude le 7 Juin 1780.
	Monseigneur!
		Je me prens cette liberté de Vous presenter quelques Reflexions
		militaires pour Vous faire connoitre mes sentiments et mes voeux,
		que j’ai fait depuis commencement de votre guerre, a l’avantage de
		vos entreprises. Comme vous combattez pour le bien très precieux,
		la liberté; il est juste de vous souhaiter tous les bons succès.
		Aiez donc la bonté d’envisager un peu mes pensées, et mon vrai
		dessein, que j’ai sans deguisement de vous rendre de fideles
		services en Amerique. Je parle plusieurs langues: François,
		Alemand, Latin, Italien, Polonois: l’Anglois j’aprendrai bientôt
		aiant deja quelque connoissence. Je m’estimerois heureux de
		pouvoir reussir aux choses, qui m’attachent a tous vos intêrets.
		Je Vous prie donc Monseigneur, si Vous me tenez capable d’un rang
		d’Officier, de me l’aviser au plus vite: je viendrai a Paris sans
		delai a mes frais, pour Vous donner les preuves de mon estime avec
		laquelle je suis de Votre Excellence tres humble serviteur
	
 
	Baron Zrenÿ [Affia]
	Monseigneur faites moi la grace de vous addresser a mon ami
	savoir: A Monsieur l’Abbe Zinner Prefêt dans l’Academie Royale
	Theresienne â Bude en Hongrie p[er] Vienne en Autriche
	
Reflexions militaires sur la guerre de l’Amerique
		I    La guerre de l’Amerique Septentrionale est un phenomene le
		plus extraordinaire de notre siécle. Il y avait deja des
		revolutions en Europe tuchantes la souveraineté; mais alors
		l’Amerique fut tranquille sans s’emouvoir le moins contre ses
		maitres. Les Corses se sont battu avec les Genois d’une
		opiniatreté inouie; mais en vain: les Polonois avec ses
		confederations infinies ont fait dechirer les entrailles de leur
		patrie. La seule mort de l’Empereur Joseph I, et l’avenement de
		Charles VI, qui etoit Monarque d’un esprit posé, applanissoit bien
		a propos le contraste en Hongrie. C’est pourquoi tout le monde est
		curieux de savoir, si les Amerîquains viendront a leur but, ayant
		affaire avec un nation brave, et tres puissante. Ils reussiront,
		c’est mon avis. Car si on compare la superiorité de France avec
		celle de Corses, et celle d’Autriche, de Russie, du roi de Prusse,
		contre les Polonois, il faut avouer, que ce n’etoit pas possible
		pour eux de prendre autre partie que de battre chamade de bonne
		heure. Quant aux Ameriquains, ils en sont mieux cent fois, que ces
		deux nations ensemble. De ne rien dire de leurs resources, ils
		sont eloignés de leur ennemi quelques mille lieux, alliés par un
		contract avec deux puissences les plus grandes au monde. En suite
		ils n’en ont besoin, que d’un effort general, de se mettre en bon
		ordre, pour accabler les Anglois. Mais pour y devenir, il faut
		etre uni fort etroitement, qu’ils ne manquent de Subsistance, ni
		de bons Officiers, ni de bonnes trouppes. Demelons ça en detail.
		II
	
 
	
De l’Harmonie necessaire
		Lorsque les braves Hollondois se sont proposé de combattre pour
		la liberté, ils ont mis devise suivante sur la monnai d’or:
		Concordia res parvae crescunt Hollandorum. C’est un moien
		excellent d’etre bien uni, concerté et affermi au dedans, pour
		repousser tous les assaults de la movaise fortune au dehors. Aux
		Ameriquains, après s’etant saisi des armes de meme objet, ne reste
		d’autre remede, que se servir de memes mesures. La concorde du
		Congrês est bien connue, comme aussi la fermeté inebranlable au
		milieu de tant des perils et tentations. Mais si la regence d’a
		present sera suffisante d’etablir la nouvelle Republique a jamais,
		cela me passe. Le President, et les Deputés des provinces unies
		sont bien capables de gouverner. C’est une forme simple, et
		desinteressée, ou le President n’a plus d’un suffrage comme les
		autres Senateurs, et son pouvoir borné de tout coté expire l’année
		finie. Telle loix est une bride d’airain pour l’ambition humaine
		dans un libre Etat. Brutus et Collatinus les deux hommes celebres,
		qui ont immortalisé leur nom, en renversant la tyrannie de Rome,
		etoient de meme avis. Mais ils en ont nourri un serpent dans le
		sein de la republique. Julius Cesar en assujettant par dix ans
		plusieurs peuples Gaulois au joug romain, s’accutumoit peu a peu a
		regner. Un an du consulat lui paroissoit trop court, il n’estimoit
		personne au prix de soi: enfin après avoir mis tout en confusion,
		bouleversa t il la liberté de Rome sous le nom de Dictateur
		perpetuel. Outre cela il se moqua de Sylla en souriant, que cet
		homme la etoit un idiote, lorsque il s’acquita de son pouvoir. Les
		Venitiens se sont bien rendu sages par malheur de Rome. Il n’y a
		point de danger qui menace un tel renversement. Ils ont un Doge
		par election libre et degagée, qui represente la majesté de la
		republique pendant sa vie. Ce n’est pas lui, qui domine, ce sont
		les loix les plus sages. Le Doge de Venise n’a rien ni d’affaires
		militaires ni de politiques sous sa direction absolue. C’est le
		Senat sans suffrage duquel le Doge n’a rien a dire. Meme les
		Venitiens son bien en veille de n’elire qu’un homme de grands
		merites avancé dans son age, afin que on puisse en faire honneur
		aux autres familles. Cette reflexion de la regence ne prescrit
		rien: elle va seulement recommender l’unité, et perpetuité d’un
		republique quelle qu’elle soit. Quant aux royalistes en Amerique
		c’est une autre question. Le Congrès aura encore bien de la peine
		a guerir tout a fait ce malheur intestin, et les Anglois
		s’efforceront toujours de garder ce venème dans les veines des
		provinciales: ils se serviront des prejugés, et de l’argent contre
		les Espagnols et les François, pour rompre l’alliance faite par
		Congrês avec ces deux puissances. Mais contre mauvaise fortune
		bonne mine. Il faut prendre des mesures justes pour empecher la
		trahison d’Etat. Ca ne se fait pas en brullant les maisons, et
		perdant toutes les familles des royalistes. A quoi bon ce moien
		terrible, si l’ennemi d’un coté et le Congrês d’autre mettent tout
		a feu et sang? Quelles resources y seront d’avantage pour
		pous[illegible] la guerre? Voila comment on y se peut comporter:
		chacun Etat, pour etre en repos doit s’assurer de ceux, qui vont
		le troubler tantot par trahison, tantot par forfait. Ce n’est pas
		le supplice toujours un remede efficace a toute sorte de maux: il
		y en a encore une autre methode d’empecher la trahison dans une
		guerre civile. Selon mon avis il faut enlever bon grè malgrè tous
		les Suspects, et les mettre dans les trouppes continentales sans
		les questioner, sans leur oter des possessions, qui peuvent
		demeurer dans les mains de leurs femmes. Posons le cas, qu’un tel
		deserte (d’ailleurs il se souviendra bien, avant que de faire
		cela) ainsi il devient traitre de lui meme; on a droit de l’exiler
		a jamais. Au contraire si il ne deserte pas, on a un guerrier, qui
		combat malgré soi pour la sureté commune. C’est pourquoi l’Arrêt
		du Congrês de date le 10 Octobre 1778 de mettre en prison tous les
		royalistes, et de ravager leurs biens ne me plait pas; puisqu’on
		detruit a cette maniere des familles entieres, ce qu’on devroit
		regarder comme la pepiniere d’Etat. Telle vengence n’a jamais
		reussi.
		III
	
 
	
De la Subsistance
		La Subsistance est un vrai moien de conduire la guerre
		heureusement. Soixante mille hommes pourvus de tout sont capables
		de detruire une armée de cent mille hommes, qui manquent de
		provision. Les Hollandois n’auroient jamais reussi contre les
		Espagnols, si ils n’avoient pas paie l’argent contant aux trouppes
		auxiliares. Sous le nom de Subsistance je regarde tout, ce qui
		peut mettre l’armée en bon etat, savoir: de l’argent, des vivres,
		des armes, du vetement. Desque la monai est devenue en usage, on
		en a besoin au plus dans la guerre. Ca est bien sur, qu’on ne paie
		jamais trop aux Soldats; mais il faut les paier de bonne foi.
		C’est un remede souverain de conserver les trouppes toujours en
		bonne humeur. Cependant quel parti faut il prendre, quand un Etat
		depourvu des metaux en veut a un royaume le plus riche au monde?
		C’est a dire les Ameriquains aux Anglois? Cette nation politique
		etoit depuis Guillaume le III bien en veille de depouiller
		l’Amerique de l’argent, et d’y mettre des millions de billet de
		Banque. Moi j’en suis d’accord, que cette espece de monnai est un
		marque de foi publique, comme celle de metaux. On s’en serve en
		Europe par tout: mais quand on en a une quantité innombrable, on
		commence a mepriser un morceau de carte signée sans valeur
		interieure, comme les grenuilles leur roi. C’etoit la maxime tres
		fine d’Angletterre pour etouffer la source de revolution. C’est
		cette heure le plus grand fardeau pour les Ameriquains, dont ils
		sont accablés; parsqu’ils se servent de meme moien ils multiplient
		infiniment les Billet de Banque et presque tout le monde en est
		mecontent. Qu’ils veillent suivre l’exemple des Romains, la monai
		desquels se trouve ça et la dans les masures des chataux ruinés.
		Quoique puissants et riches qu’ils fussent, leur petite monai
		etoit pourtant de bronze ou de cuivre. Ne peut on faire de meme en
		Amerique? Il y en a assez. Si au commencement de guerre presente
		les heroines Ameriquaines ont envoyé, comme on debite, leur
		ornement, leur joiaux, leur bijoux, a Philadelphie, pour fournir
		le Congrês des depenses; on se tireroit a bon marché d’affaire, en
		y fondant les cloches ou des choses moins necessaires pour en
		faire la monai, ou des canons. La necessité n’a point de loix.
		Gustav Adolphe le roi de Suede fit fondre le siecle passé douze
		Apotres d’argent emportés en Westphalie, et ordona d’en battre des
		ecus avec inscription: Ite in mundum universum. Les Autrichiens
		assiègés l’an 1757 par le roi de Prusse a Prague firent battre la
		monai d’etain pour contenter les trouppes, c’est ce que j’ai vu
		moi meme. Les Soldats Ameriquains aimeroient mieux peut etre
		recevoir une monai durable, quelle qu’elle soit, qu’une piece de
		carte, pour qui il faut prendre garde sans cesse au milieu de
		leurs fatigues, que l’on ne dechire, que l’on ne mouille, que l’on
		ne detruit pas. D’ailleurs on peut s’accommoder a l’exemple des
		Romains. Au commencement de leur liberté personne n’a reçu un sous
		jusque a l’an 347 de Rome fondée: il n’y avoit point de paiement;
		alors ils se servirent de la farine et des biscuits. Ne faut il
		donc faire comme ça pour secouer le joug d’Angleterre? Outre cela
		l’an 538 de Rome fondée, quand la Republique etoit epuisée de ses
		forces par la guerre sanglante contre Annibal, aucun capitain ou
		Officier ne servit a gage, l’on meprisoit, et appelloit mercenaire
		celui, qui se fit paier. Je vois, qu’il y a aussi en Amerique une
		quantité de fideles, qui sont de meme avis.
	
		Quant aux vivres, je ne doute point, que l’Amerique
		Septentrionale favorisée du ciel n’en a superflus de quoi sutenir
		ses habitans. Mais tant que la guerre emporte peu a peu les
		laboureurs, tant que l’ennemi ravage de tout coté les Colonies, on
		y peut atirer dans peu de tems la cherté et la famine extreme.
		C’est pourquoi la façon de faire la guerre a la prussienne aux
		depens de ses ennemis merite toute approbation. Pour l’imiter ce
		n’est pas necessaire de porter la guerre en Angleterre, c’est
		seulement fort avantageux de mettre en sureté ses magazins, et
		d’une grande importance de couper les memes aux Anglois. Le
		premier objet d’inviter les Canadiens et les Floridiens dans
		l’interêt des Etats Unis, s’est evanui après la malheureuse
		expedition de Ruebek. Au contraire les Canadiens sont entrés dans
		les services du General Carleton et Bourgoyne pour accomplir leur
		dessein cruel. Il faut donc les paier de meme et les traiter en
		ennemi. Mais c’est un rocher, contre lequel on s’est deja brisé la
		tete. Cependant la conquete de Canada, c’est un jeu pour a
		present, qui ne vaut pas la chandele. Pour moi j’aimeroit meiux
		Florida pour y detourner le theatre de guerre. A ce conte la on
		menageroit les provinces, et en meme tems on s’approcheroit de ses
		amis les Espagnols et François sur la cote du Golfo de Mexico.
	
		Le troisieme article regarde les armes. Desque la poudre est
		decouverte, on a changé des armes, et la guerre est devenue
		pernicieuse. L’Artillerie, des fusils, des Canons, sont des
		instruments neuf au monde, qui peuvent detruire de loin la plus
		nombreuse, et la plus courageuse armée. A cette heure la vertu
		militaire est toujours en echec contre une petite balle de plomb.
		La Tactique moderne ne ressemble presque point, a celle des
		anciennes. Est ce donc le sujet de s’abaisser? Aucunement. Ce
		n’est pas artillerie prodigieuse, ou des fusils, qui font la
		victoire complette, c’est la armée bien exercée, les manoevres, et
		les dispositions exactes d’un chef habile et sage. Alexandre le
		grand n’avoit pas des armes d’or dans son expeditions contre
		Darius, et il a pourtant defait des Persiens innombrable avec ses
		trent quatre mille hommes. Les frondeurs romains n’attaquoient
		jamais l’ennemi que les pierres a la main. La cavalerie romaine
		avec une epée montoit les chevaux, sans se servir de selle. On ne
		brilla pas alors, mais on fut invincible par courage. Pareillement
		l’infanterie Ameriquaine seroit bien armée bajonette au fusil: les
		armes de cavalerie, qu’il soit un sabre bien tranchant, un
		pistolet a travers, et une lance a la Bosniak. Un train de
		soixante canons bien servis, et bien placés, fait suffisment
		respecter une armée de quarante mille homme. Sur tout la meilleure
		cuirasse est le courage de trouppes fideles, resolues et bien
		manoevrantes.
	
		L’article du sentiment militaire est d’un grand poid dans la
		guerre. Un homme habille en soldat, est un homme singulier, et
		distingué de l’autre sorte d’hommes. J’ai vu fort souvent avec
		etonement que les paÿsants tirés de leur forêt, sans apparance
		sans mine, après s’etant revetu d’habit de guerrier, ayent pris de
		l’esprit martial, et de l’ambition autrefois inconnue. Pour les
		Ameriquains, il faut faire les bas selon les jambes. Ca est sur,
		qu’il y a des divers climats en Amerique, ils en peuvent profiter.
		L’armée meridionale sous le trentieme degré, qu’elle ait l’habit
		leger du linge, et celle du Septentrion de laine, un manteau
		court, a la Autrichienne, pour s’en revetir de jour, et pour s’en
		servir de couverture de nuit. Autrement un casque a la tete,
		seroit aussi une distinction suffisante, ce me semble. Quand les
		Croates se sont comparé de Baviere, et aprés quand ils sont passé
		le Rhin, dans la guerre de succession, l’an 1741. 1742. 1743.
		1744. alors ils n’avoient, que ses habits ordinaires, point de
		souliers, si non de peau preparée et accommodée de leurs propres
		mains. Ils ont pourtant fait sous le commendement du General Frenk
		de merveilles. Les Ameriquains attendris de l’amour de leur
		patrie, n’ont besoin de briller d’or et d’argent pour faire volte
		face honnetement aux Anglois.
		IV
	
 
	
Du Devoir des Officiers
		La bonne nature, fertile en toutes sortes, va fort lentement
		produire un heros. Ils passe demi siecle et d’avantage, avant que
		de voir un Tourenne, ou un Eugene. La plus part n’est pas
		destinée, que pour etre des Colonelles, des Majors, des Capitains,
		a jamais. C’est un genie superieur tout seul qui favorisé du ciel
		ramasse heureusement des lauriers dans toutes ses entreprises. Je
		ne blame, je ne flate personne. Selon mon avis un heros est celui,
		qui d’un coup d’oeil apronfondissant parfaitement les affaires, en
		prent des mesures les plus justes, pour atteindre a son but.
		Cependant pour y devenir, il faut avoir de la sagesse, du courage,
		de resolution, et de resources inepuisable sur le champ, meme dans
		la necessité extreme: en un mot, qu’il ressemble au roi de Prusse.
		Le grand Frederic, Monarque, General, et Ministre ensemble
		instruit quelqu’un de ses generaux ainsi le 9. Mars 1758: ["]Ne
		vous precipitez point. Il faut plus de suite dans le commendement,
		plus de fermeté il ne faut pas changer des dispositions du matin,
		au soir.” Quant aux autres Officiers, chacun d’eux doit plus
		regarder l’interêt publique, que son propre. Quand leurs trouppes
		bien manoevrent, c’est leur vraie honneur. On connoit un habile
		Officier bientôt. Autant, qu’il a de la presence d’esprit, autant
		vaut il son merite. Dans le danger, qu’il ne s’abaisse point, que
		il ne soit jamais embarassé au jour de bataille: qu’il retient par
		son courage les soldats en bonne humeur, ne se plaignant jamais de
		la movaise fortune, qu’il se fasse aimer par condescendance de
		tout le monde; mais en meme tems qu’on le respecte a cause de sa
		conduite irreprochable. La science militaire n’a point de
		certitude evidente, comme celle de mathematique: au contraire elle
		fait entrer trop d’eventuelle dans ses principes. C’est, pourquoi
		un bon Tacticien ne se met jamais aveuglement au hasard, afinqu’il
		n’arrive pas a lui la mechante excuse: Moi, je n’y pensoit pas. La
		lacheté honteuse, et l’yvrognerie loin de lui. Bacchus et Venus
		epuisent a fond les forces du corps, et l’empeche de pousser les
		plus beaux projects en effet. Annibal en a donné un illustre
		exemple a Capua après la bataille de Cannas. Il faut aussi porter
		toute son attention au caracteure des nations combattantes. Il y a
		des gens trop braves, mais moins durables, moins propres a
		supporter les travaux et les fatigues de guerre: il y en a, qui se
		font piquer d’honneur, ce sont les François, qui sous un chef
		d’esprit posé savoir un Tourenne, un Comte de Saxe, ont fait
		toujours de merveille. Il y en a, qui font aussi leur devoir; mais
		etant piqué de battons, c’est la nation Salovonne (?). Un Officier
		clairvoyant en sauroit toujours profiter. C’est le devoir des
		Officiers en general: en particulier, c’est une grande difference
		parmi les Officiers de Cavalerie, et l’Infanterie. On se sert de
		Cavalerie, pour reconnoitre l’ennemi, pour empecher de loin les
		trouppes legeres, pour flanquer les ailes, pour faire
		l’avantgarde, pour couvrir, ou pour masquer la route de l’armée.
		Ce ne sont pas des bagatelles, de faire mille fois la tete aux
		ennemis en les harcelant par des frequentes attaques, et par
		escarmouches. On n’y se rapporte plus, qu’au courage et au
		hardiesse des Officiers, qui conduisent les Escadrons. Enfin, le
		plus entreprenant est celui, qui attaque les plus de succês on se
		peut promettre a l’avenir. La cavalerie toute seule, est capable
		de braver l’ennemi dans ses meilleurs progrês, et en le combattant
		par detail, le peut forcer de prendre parti de la defense. Je
		mettroit donc l’elite des Officiers la, qui possedent du talent
		d’executer a vu d’oeil le projet du Chef d’armée, sur tout, qui
		connoissent fort bien la manière d’agir par embuscade. La premiere
		qualité des Officiers de l’Infanterie, est la Geometrie. Un siege,
		une attaque du forêt, et des contrées difficiles, sont des
		affaires des fusiliers. On a beau exercer les trouppes a charger,
		a tirer, a marcher, si on manque de science tactique, laquelle est
		tout a fait fondée sur la geometrie. A peu près un Chef d’armée
		detacheroit quelqu’un ignorant pour s’emparer de certaine
		montagne. Un tel conduira ses trouppes aveuglement, comme
		Andabatte, parceque il n’entend la direction de canons, ni la
		hauteur du retrenchement; il sacrifira temerairement aux
		cartouches le meilleur soldat. Un assault, ou une attaque dans le
		retrenchement est un choc extreme, capable de defaire l’armée
		entiere. Avant, que d’entreprendre un tel manoevre, on a du loisir
		d’y penser, on peut s’y bien attendre de ne hazarder pas un coup,
		qui a tant de sequelles movaises. La defense est aussi bien
		affaire des fusiliers comme un assault. Jamais un sage Officier se
		rendra a la discretion de son adversiare, tandis qu’il sauroit se
		soutenir a son poste. Un Archimedes dans ce cas vaut plus qua la
		demie armée. Par consequence si on en a plus, on mettra tôt, ou
		tard, en deroute l’ennemi le plus fort. Les Officiers de telle
		race, courageux, vigilants, iunstruits, tantôt par theorie, tantôt
		par experience, et fideles, font trembler l’empire le plus
		puissant meme de Jupiter Clari giganteo triumpho, cuncta
		supercilio moventis.
		V
	
 
	
De l’arrangement des trouppes
		Annibal le plus grand hero au monde prononçoit une vraie
		sentence en faveur des soldats: Par tout, dit il on trouve des
		soldats, ou se trouvant les hommes. J’en conviens, mais j’ajoute
		aussi, qu’il faille etre un Annibal pour en reussir. Chacune
		nation a du courage, après avoir eté dressée selon les regles
		militaires: comme au contraire l’esprit belliqueux change tout
		d’un coup, quand l’on permet peu a peu ensevelir dans un sommeil
		profond. Les Greques ont defait par sa valeur un armée la plus
		nombreuse des Perses. Les Macedoniens se sont emparé sous
		Alexandre le Grand presque de toute Asie: mais desque la lachete
		honteuse s’est saisi de leurs coeurs, la vertu militaire s’est
		evanui, et les braves Spartiates, avec les fiers Macedoniens ont
		reçu le joug vilain de Rome. Les Romains memes un peuple
		invincible, l’autre jour a tant changé de moeurs, qu’il n’y a
		aujourd’hui d’autres armes, que des chapelets et des breviaires.
		Quant aux Ameriquains, on y trouve des hommes, et des hommes
		vaillants, courageux, comme dans notre hemisphere, par consequence
		selon le dire d’Annibal, on en sauroit former des soldats. Les
		Anglois meprisoit les Ameriquains, comme la derniere race du genre
		humain, [d’ailliers] ils auroient pris au commencement de la
		guerre des mesures plus justes, pour etouffer la revolution
		presente. Ils trompoient de meme les Hessiens et toutes leurs
		trouppes auxiliares. Ce n’etoit pourtant qu’un piege
		malheureusment tendu a eux memes. L’Auteur Anonyme des Recherches
		Philosophiques commet, dans son livre imprimé a Cleve l’an 1772
		pareille folie. La nature, dit il, aiant tout oté a un hemisphere
		de ce globe, pour le donner a l’autre, n’avoit placé en Amerique
		que des enfants, dont on n’a pas encore pu faire des hommes. Quand
		les Europeens arriverent aux Indes occidentales, dans le quinzieme
		siecle, il n’y avoit pas un Ameriquain, qui sût lire ou ecrire, il
		n’y a pas encore de nos jours un Amerîquain qui sache
		penser ...... Il resulte des experiences faites sur les Creoles,
		qu’ils donnent dans leur tendre jeunesse, ainsi, que les enfants
		ameriquains, quelques marques de penetration, qui s’eteind au
		sortir de l’adolescence: ils deviennent alors non chalants,
		inapliqués, hebetés, et n’ateignent a la perfection d’aucune
		science, et d’aucun art: aussi dit on par forme de proverbe,
		qu’ils sont deja aveugles, lorsque les autres hommes commencent a
		voir .... c’est donc a un vice reel, et a une alteration physique
		sous un climat ingrat et contraire a l’espece humaine qu’il faut
		rapporter le peu de succês, qu’ont eu les Creoles, envoyes par
		leurs parents, dans les differents colleges du nouveau monde. Il
		en est venu quelques uns etudier en Europe, dont les noms sont
		restés aussi inconnus, que si ils avoient fait leur course de
		Philosophie a Mexico, ou a Lima. Ils n’ont jamais donné aucun
		ouvrage sur les animaux, les insectes, les plantes, les mineraux,
		le climat, les singularités, et les phenomenes de l’Amerique. Un
		autre Ecrivain dans lhistoire naturelle et politique de la
		Pensilvanie p 233 imprimée a Paris l’an 1768 est de meme avis:
		["]Dans l’Amerique Septentrionale, dit il, les Europeens
		degenerent sensiblement, et leur constitution s’altere a mesure,
		que les generations se multiplient: on a remarqué dans la derniere
		guerre, que les hommes nés en Amerique ne pouvoient pas supporter
		aussi long tems, que ceux, qui etoient venues de l’Europe, les
		travaux des sieges, et la fatigue de voyage de mer, ils mouroient
		en grand nombre.” Voila quel prejugé par qui on decide hardiment
		d’une affaire entierment inconnue. Wassington, Franklin, Adams,
		Hankok, Gates et la suite des Ameriquains dont les noms sont
		celebres aujourd’hui, font entendre tout contraire. Franklin né a
		Boston un genie superieur, au dessus de mes expressions, n’a dans
		les sciences philosophiques et politiques, qui peut lui disputer
		le rang. Wassington Virginien, soutient son poste en Chef d’armée
		il y cinque ans contre toute la force Angloise. Il y faut donc
		plus, que de sagesse ordinaire. Adams renomés par son ouvrage, The
		common sens, donne aussi une epreuve de la capacité Ameriquaine,
		qu’ils soient en etat de composer des livres dans le gout de ce
		siecle. Hankok le President celebre, qui par sa prudence a derangé
		tous les conseils Anglois fut alors bien clairvoyant, lorsque les
		Anglois sont devenus aveugles. Gates, le vainqueur de Bourgoyne,
		avoient certainement plus de penetration près de Saratoga, que
		Lord Germain a Londres, qui a tracé ce beau plan. Enfin les
		mesures, qu’on a prises en Amerique, pour y former un nouvelle
		Etat, sont de vraies marques du genie Ameriquain au moins abouti,
		et meme eclairé, que celui de Lord North, Lord Bute, Lord
		Mansfield. Quant aux travaux, aux fatigues, et aux voyages, que,
		selon le dire, les Ameriquains ne peuvent pas supporter long tems,
		c’est une calomnie evidente et refutée par la campagne de
		Montgomery au mois Decembre, l’an 1775 en Canada, et pareille de
		Wassington, près de Boston le meme hiver, et près de Philadelphie
		l’an 1777: comme aussi la defaite terrible de Bourgoyne causée par
		valeur des Ameriquains. Un officier Brunsvicien de la suite de
		Bourgoyne nous fait une meilleure description du genie Ameriquain,
		dans sa lettre de 15 Novembre, l’an 1777 de Cambridge a Monsieur
		Schlötzer Professeur de Göttingen “Après avoir mis les armes bas,
		dit il, nous sommes aller voir l’ennemi, savoir, l’armée
		Ameriquaine sous le commandement de Gates. Aucune regiment n’etoit
		bien habillé: les Soldats avoient pourtant un air militaire:
		c’etoit un vrai plaisir de les regarder si bien tailles, et rangés
		en ordre. Ils nous attendirent avec une modestie singuliere,
		personne ne se moque de nous. Il n’y avoit presque personne de
		petits, tous qu’ils etoient, avoient une grandeur merveilleuse a
		cinque pieds, et a sept, huit, meme a dix pouces a la prussienne.
		De vous ecrire la verité, les gens de l’Amerique surpassent en
		croissance ceux de l’Europe et tout le monde a des talents
		naturelles pour la guerre.” Le grand ministre Anglois Lord Chatam
		confirmoit a haute voix la verité; mais les ministres
		d’aujourd’hui a sa propre honte, ne le vouloient jamais entendre
		jusqu’a ce que le General Howe etoit accusé de n’avoir pas fait
		son devoir. Alors il parle haut et clair, il ouvrit les yeux au
		Parlament Anglois, et fit comprendre, que les Ameriquains ne sont
		pas meprisables comme on pensoit ci devant. Après il fut absout a
		pur et plein le 18 Mai 1779 avec cette clause remarquable “Nous
		sommes tout a fait persuadés, que les Ameriquains n’aient pas pu
		etre vaincu a cette maniere, et que ceux aient tort, qui nous ont
		fait acroire, que la guerre de l’Amerique soit très facile a
		conduire”. Quoiqu’il en soit, c’est pourtant bien etonnant, que
		les Ameriquains avec tous ses efforts n’aient pas encore la
		superiorité sur les Anglois. Moi je ne veux y entrer: mon dessein
		va seulement de faire un projèt d’un arrangement necessaire parmi
		les trouppes Ameriquains, pour en reussir de bonne heure.
		Premierment je tiens tous les habitans de l’Amerique pour Soldats,
		qui combattent pour le bien precieux de la liberté. Je les
		rangeroit en trois parties: 1o Ceux de l’age de dix sept ans,
		jusqu’a vingt cinque, je mettroit aux trouppes legeres, savoir
		Battaillons francs, Chasseurs, Hussards. Les deserteurs anglois ou
		d’autre nation y appartiennent aussi: mais toujours avec cette
		precaution necessaire, qu’on ne fie a personne de telle race, un
		cheval. On en menage trop, et les maraudeurs, les vagabonds,
		deviennent a cette maniere des membres utiles d’Etat. D’ailleurs
		on peut traiter un deserteur en ami, en lui donnant des terres et
		en l’attachant a une femme, qui se peut saisir de l’Oeconomie,tant
		que son mari combat pour la sureté commune. Mariage est une
		vaillante liaison du genre humain. On en a d’autre avantage, les
		jeunes Ameriquains aprennent en memes tems des deserteurs la
		maniere de guerre, et deviennent des recrues biens exercées et
		bien manoevrantes pour les legions. 2do Les hommes de vingt cinque
		ans tirés de trouppes legeres, jusqu’a quarant cinque peuvent
		former les Legions a la romaine, les Grenadiers, les Cuirassiers
		et des Gardes. Parmi les fantassins je mettroit les prisonniers de
		guerre, a l’exception des Officiers. Car si on les laisse oisives,
		a quoi bon? A charge de l’Etat? L’autre jour les prisonnier de
		guerre sont devenus des esclaves a jamais. Pourquoi n’ose t’on
		s’en servir mieux, jusqu’a ce qu’ils sont mis en rançon, ou en
		cartel. Parcqu’après avoir perdu la liberté, ils sont obligés de
		servier bongré malgré aux vainqueurs. C’est la coutume presque
		ordinaire en Europe. L’an 1644 la plus part du regiment Mazarmi
		etoient des Espagnols faits prisonniers a Lerida: le meme regiment
		après avoir eté surpris par General Merci en Allemagne, fut melé
		parmi les trouppes imperiales. L’an 1756 l’armée Saxonne prise par
		le roi de Prusse près de Pirna avoit meme malheur de changer son
		maitre, et d’entrer dans les trouppes Prussiennes. Quelle quantité
		n’y a til en Amerique de prisonniers, de deserteurs, meme de
		traitres provinciales, qui veillent mieux perdre sa patrie, et la
		liberté a l’egard du roi d’Angletterre! Ne vaut il pas mieux d’en
		faire des soldats continentals? Alors ils ne peuvent pas trahir si
		aisement ses freres, etant sous les yeux d’un Officier vigilant
		comme si on les laisse en repos. Ca va aussi de tous les
		prisonniers de guerre. Autant qu’on arrache de l’armée angloise,
		autant s’acroit celle de l’Amerique. Les promesses des terres,
		faites aux prisonniers, et les appas des femmes font souvent un
		changement heureux dans l’esprit du soldat le plus ferme. 3o Les
		Soldats de quarante cinque ans jusqu’a soixante peuvent servir en
		garrison, pour garder les magazins, les prisonniers d’Etat, pour
		lever les recrues. L’Artillerie et les Ingenieurs soient l’elite
		de toute armée. Les Quacquers, et tout le monde, qui defendu par
		prejugé religieux, ne traite pas les armes, sont fort bons pour en
		faire des matelots ou pioniers. Il y en a encore bien a dire; mais
		pour a present je suis content de pouvoir donner cette foible
		epreuve de ma capacité, et de mon attachement a des affaires
		Ameriquaines. C’est a Vous Monseigneur de juger, et decider a mes
		Souhaits, si Vous me trouvez digne de vos Services. Je viens de
		finir d’autre Reflexions de la Tactique moderne en Europe, ce que
		je presenterez et soumettrez sincerement a Votre jugement, quand
		j’aurai l’honneur de presenterez moi meme a Paris et de Vous faire
		mon respect avec un entier devouement.
	
 
	
Addressed: ad Nrum 20rd (?) Acror(?) ez Cabinero equissor(?). / A
	son Excellence Monseigneur de / Franklin Ambassadeur des Etats
	Unis / de l’Amerique Septentrionale a la cour / de France / â /
	Paris
	En cas, que Son Excellence ne soit presente, on prie tres
	humblement de donner cette lettre a l’Ambassadeur d’a present des
	Etats Unis Ameriquains, qui la sauroit ouvrir.