En quittant Paris mon frere m’a fait promêtre de vous Donner de ses nouvelles, et cette commission m’est si agréable qu’aussitot mon arrivée aux chutes je mets la main à la plume pour y satisfaire.
Mon frere vous aura sans doutte marqué que J’avais un compagnon en quittant Paris, et quel était le But de mon voiage: eh bien! Monsieur, nous sommes arrivés en Bonne santé Jusqu’à Pittsburg où nous avons été obligé de sejourner, à cause des glaces, quatre mois. Enfin l’hoio s’étant ouvert, nous partimes, Le 19 mars, quatre Dans un Batteau, que nous avions fait faire à Pittsbourg, Dans lequel nous comptions aller fort Loing. Après six Jours de routte, étant entre le petit et le grand miamy, nous fumes attaqués par des sauvages, qui, après avoir tué un des cheveaux que nous avions à bord de notre Batteau, ils s’embarquerent dans un Batteau plat, et nous eurent bientôt attrappés. Alors ils firent feu sur nous: J’en tuai un, mais ils s’en vengèrent bien; car ils tuerent un des notres et me casserent Deux Doigts De la main gauche. Comme nous etions près de terre, les Deux compagnons qui me restaient se jetterent à la nage, et restant seul je fus obligé d’en faire autant. Les sauvages se mirent aussitôt à la nage, et nous eurent bientot attrappés, et comme je gagnais la terre J’eus le desagrement de voir tuer, à coups de coutteau, M. Picque; ce même ami, qui m’avait accompagné Depuis paris. Pour l’autre, qui était Ameriquain, il nétait nullement Blessé; et comme il avait de bonnes Jambes, lesquelles avaient acquises une grande vitesse par la peur, il s’est sauvé pendant cette malheureuse opération. Pour moy les Sauvages ne voulaient point me tuer; ils voulaient me faire souffrir, en me mettant au cadre: aussi m’attraperent ils, et ils me lierent les Bras deriere le Dos: mais comme ils n’avaient pas de cordes, et qu’ils s’etaient jettés précipitament à l’Eau ils n’en avaient pas pris, aussi se servirent ils pour me Lier de Jarretieres qui étaient très mauvaises; ce qui est cause que je me suis sauvé: car quand ils voulurent me mettre à l’eau pour gagner le Bateau, qui ne pouvait approcher terre, à cause des arbres, Je cassay ce qui me liait, et me mis à nager, avec tant de force au courant que quoique J’avais la main fort malade aucun d’eux ne voulut me suivre dans ces courans si rapides; aussi ils m’abbandonnerent; mais un de ceux qui etoient dans le batteau, voiant que je me sauvais, me tira un coup de carabine. Heureusement que le Boulet ne m’attrapa que Legerement au cou, et j’en suis quitte pour une playe de deux pouces à peu pres dont cependant Je crois que Je ne serai point estropié.
Enfin J’ay gagné la terre et au bout d’une heure, ay attrapé celui qui s’était sauvé et qui était si bon coureur. Pour les sauvages ils traverserent de l’autre côté de L’hoio pour trouver une place pour Décharger le Batteau. Nous fumes quatre Jours Dans le Bois à suivre Les Bords de L’hoio, où enfin un Batteau qui dessendait en chutte a bien voulu nous prendre; et nous sommes arrivés L’ameriquain et moy, de quatre que nous sommes partis de Pittsbourg. Deux ont été tués.