From — Ferry (unpublished)
a Marseille le 12 8bre. 1783
Monsieur

J’ai Reçu la lettre dont vous m’avez honnoré en Datte du 14 juin dernier, en reponse a celle que j’avais eu l’honneur de vous ecrire le 28 mars; elle ne m’a été remise que le 10 ou le 12 du mois d’aoust dernier; le facteur de la poste, ne sachant pas positivement mon addresse, l’avait gardée jusqu’a cette epoque; quelle fut ma joie en la recevant! Quelle fut ma tristesse en l’ouvrant; je vois des mots traces par un homme que je n’appellai jamais que divin, et je ne puis en deviner le sens, on me l’explique, et je vois sans en être surpris, le plus habile politique de son siecle, le citoyen le plus zelé pour sa patrie, l’homme le plus vertueux, enfin un des plus sublimes genies que l’univers ait produit, descendre jusqu’a moy, me donner des leçons utiles et m’encourager sans pretendre me flatter. Oh! grand homme, dans ce moment unique pour quiconque est vraiment animé par l’emulation je regrettai mille fois de ne point me trouver dans la capitale, pour vous y rendre les adorations que la savante antiquité rendait à appollon, à mercure et à minerve, divinités protectrices des lettres, des sciences, et des arts; je tache de reparer cette perte autant qu’il m’a été possible; votre portrait auguste, placé dans le lieu où je tache de m’instruire dans les siences, ranimera mon emulation si elle vient à se refroidir; semblable a l’astre radieux qui echauffe tout de sa lumiere, vous porterez en moi les plus forts encouragements, enfin il ne me manquera que du genie pour parvenir a m’illustrer.

Que je voudrais, monsieur, qu’il me fut permis de vous presenter un de mes petits ouvrages qui a concouru cette annee pour le prix de poesie d’une academie; vous n’y verriez pas sans doute l’enthousiasme pindarique regner d’un bout à l’autre mais vous pourriez peut être le reconnaitre dans deux strophes où je parlais de vous. Ce n’est point la presomption qui me dicte ces derniers mots: pourrait on être homme, chanter un pareil sujet, et n’être point enthousiasmé; malheureusement l’academie a renvoyé le sujet du prix a la prochaine année. Cet arrangement m’ote jusqu’a l’epoque marquée la disposition de mon ouvrage et me prive du plaisir de vous le presenter. Agréez, s’il vous plait celui ci, que m’a dicté la même admiration pour vos sublimes talents: j’en ai fait part au public dans le journal de provence du Samedy 6 7bre dernier.

Vers pour mettre au Bas du portrait de Mr. Le Docteur Franklin

Europe, dont l’orgeuil refuse a l’amerique

l’honneur d’avoir produit de celebres mortels;

la physique et la politique

viennent t’en offrir un digne de tes Autels:

Franklin, de son pays deïté tutelaire,

ranima son espoir assura son bonheur,

et peu content qu’on l’en nomme le pere,

il veut en être encor premier legislateur.

Les Siecles à venir, en lisant son histoire

Sans quelque etonnement verront ils un mortel,

dont le moindre talent, dont la plus faible gloire,

est d’avoir maitrisé le feu de l’eternal.

Après vous avoir communiqué cette faible expression de mes sentiments, il ne me reste plus qu’a vous aviser que j’ai fait l’experience que vous m’avez fait l’honneur de m’indiquer dans votre lettre, et que le résultat parait confirmer mon hipothèse. Je n’entre là-dessus dans aucun detail, pour ne pas abuser de vos moments precieux, et j’ai l’honneur d’être Monsieur avec le plus profond Respect et le plus parfaite Consideration Votre très humble et très obeissant serviteur

Ferry

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