Le Chevalier de Bazantin, de la meilleure Noblesse de Picardie, brave et honnête officier, qui a été au service de france avec distinction pendant pres de 25. ans, a été conseillé par la famille de Broglie, de laquelle il est singulierement estimé, de passer au service des Colonies unies; il est parti de Nantes en Juillet dernier pour être employé avec le titre de Capitaine de Chasseurs dans l’armée américaine. Au lieu d’arriver à Boston, lieu de sa destination, le vaisseau qu’il montoit fut forcé par le mauvais tems de se rendre à Charlestown. Là, le Président du Comité a très bien accueilli le Ch[evali]er de Bazantin, lui a donné une somme et lui a procuré les moyens de se rendre, avec onze de ses camarades, à l’armée du Général Washington. Pour plus grande celerité et par économie le Ch[evali]er de Bazantin est convenu avec le Président que le voyage se feroit par mer. Embarqué avec ses compagnons dans un petit bateau ponté, on fut obligé a cause du gros tems de prendre le large et le 14. 9bre deux fregates angloises, le carepfort et le lezard de 30. pieces de canon leur donnerent la chasse et ils furent obligés de se rendre; mais ce ne fut qu’au 7e coup de canon, parceque le conducteur de la barque les avertit du danger d’etre coulé a fond et qu’il etoit inutile de retarder d’avantage. Ces officiers francois furent traités par les anglois avec une brutalité et une inhumanité dont le récit révolte. Après avoir été dans la cale, on les a conduits en prison à st. Augustin Capitale de la floride de l’Est, ou ils sont aussi maltraités et aussi mal nourris; ils ne peuvent avoir des nourritures fraiches qu’avec le peu d’argent qu’ils se procurent en faisant vendre, par les soldats qui les gardent, les petits effets qu’ils ont sauvés sur eux. On ne les regarde point comme prisonniers de guerre, ni dans le cas d’etre échangés comme américains, mais on les traite comme des fomentateurs de divisions, comme des gens qui se faisoient payer pour nuire. Dans un tel malheur, ce qui afflige le plus le Ch[evali]er de Bazantin, c’est que comme il est le seul de la societé qui parle anglois, c’est toujours lui qui en a été l’interprête; c’est lui qui a pris avec le Président de Charlestown les arrangements de la route et comme on sait qu’il aime la mer, quoiqu’il n’ait fait que concourir aux vues du President en surmontant la répugnance de quelques uns, tous le regardent comme la cause de la perte commune et lui font des reproches qui leur paroissent fondés.
Le Ch[evali]er de Bazantin est un homme très instruit, surtout en ce qui concerne son état de Militaire, il etoit fait par son honnêteté, ses talens et sa bravoure pour réussir chez les américains et il leur auroit été fort utile. C’est la 3e fois qu’il est fait prisonnier par les Anglois; il connoit la Nation, il connoit aussi l’Amérique pour y avoir fait la guerre autrefois; il à servi aussi avec le Capitaine Turot qui fut tué à coté de lui. On peut le regarder aujourd’hui comme officier de l’armée Américaine puisqu’il est parti en qualité de Capitaine de chasseurs et qu’il alloit remplir son Emploi avec l’agrément du President de Charlestown. C’est à tant de titres qu’on le recommande à la générosité du Docteur Franklin, pour lui faire rendre la liberté. Le sort de ce brave et malheureux gentilhomme est fait pour interresser tous les honnêtes gens et c’est un moyen de plus pour esperer que le Docteur Franklin aura la bonté d’etre son libérateur.