[Before Sept. 30, 1773]
Au milieu des Sauvages de l’Amérique il s’éleva
presque subitement, sur la fin du siecle dernier, une Ville dont
l’enceinte n’est pas encore circonscrite, et qui ne cesse de
s’étendre de jour en jour suivant les alignemens qui lui furent
premiérement tracés.
Son nom est Philadelphie, et l’amour fraternel
est son unique loi fondamentale; ses portes sont toujours ouvertes
à tout le monde; et quoique son Fondateur en ait formellement
exclus deux sortes d’hommes, l’athée et le fainéant, il semble que
cette exclusion même n’ait été que comminatoire; car s’il existoit
un athée dans le reste de l’univers, il se convertiroit en entrant
dans une ville où tout est si bien; et s’il y naissoit un
paresseux, ayant incessamment sous les yeux trois aimables soeurs,
la richesse, la science et la vertu, qui sont les filles du
travail, il prendroit bientôt de l’amour pour elles, et tâcheroit
de les obtenir de leur pere.
Les Trembleurs (ou Quakers) persécutés en
Angleterre, s’étant réfugiés en Amérique sous la conduit de
Guillaume Pen, y fonderent cette colonie. C’étoient des hommes
d’une trempe fort singuliere. L’espece d’enthousiasme, qu’un nommé
Fox leur avoit communiqué, n’avoit pour objet que les vertus
morales, sans aucun dogme métaphysique. Ils s’excitoient au
tremblement pour consulter le Seigneur sur tout ce qu’ils vouloient
entreprendre; et après avoir médité sur leurs devoirs dans le plus
profond recueillement, prenant leurs lumieres naturelles pour des
révélations extraordinaires, ils se croyoient tous autant de
prophetes et de prophetesses. Ainsi Pen crut que le ciel lui avoit
inspiré d’acheter et de payer de deux côtés (du Roi d’Angleterre,
et des Sauvages) le terrein désert où il vouloit bâtir sa Ville,
afin que son établissement fût béni de Dieu et des hommes. Ces
Trembleurs, depuis quelques années, ont beaucoup rabattu de leur
enthousiasme, mais ils ont précieusement conservé leurs maximes et
leurs usages; chacun présente lui-même son propre hommage à la
Divinité; les femmes mêmes sont admises à prêcher parmi les hommes;
tous sont réputés Prêtres et Prêtresses; tous s’appellent freres et
soeurs, et se traitent constamment comme tels....
<Montesquieu called Penn a true Lycurgus, and the learned
authors of the
En 1746, époque mémorable dans l’histoire de la
Physique par la fameuse expérience de Leyde, feu M. Collinson, de
la Société royale de Londres, envoya en présent à ses bons amis de
Philadelphie, un tube électrique, avec des instructions sur la
maniere de s’en servir, ne doutant pas qu’ils n’en fissent un très
bon usage. Ce tube, qui fut heureusement remis à M. Franklin,
l’occupa tout entier pendant quelques mois, après quoi il crut
devoir rendre compte à M. Collinson de ses expériences et de ses
réflexions sur cette matiere.
Quoique ses Lettres ne fussent pas
originairement destinées à voir le jour, elles furent bientôt
publiées en Anglois et traduites en François. Elles parurent aussi
neuves et aussi intéressantes à Paris et à Londres qu’en
Pensylvanie, et commencerent à faire connoître à l’Europe ce
Philosophe Américain qui, du premier vol, déployant ses ailes sans
effort, s’étoit élevé à une hauteur dont nos plus célebres
Physiciens demeurerent tout étonnés.
La réputation de M. Franklin s’est toujours
soutenue, toujours accrue depuis. Sans composer aucun traité en
forme, son génie s’est exercé successivement sur quantité de sujets
divers; et à mesure que l’occasion s’en est présentée, il a fait
part de ses découvertes à ses amis dans des Lettres familieres, où
il leur propose du ton le plus modeste les idées les plus
lumineuses.
Ces divers morceaux, après avoir été imprimés
et réimprimés séparément, ont été réunis en un Volume in-4º.
publié à Londres, où l’on en prépare encore actuellement une
édition nouvelle. Mon attachement pour l’Auteur m’en a fait
entreprendre la traduction, et son amitié pour moi l’a engagé à
tirer de son portefeuille quelques morceaux qui n’avoient point
encore paru, pour enrichir l’édition Françoise. Puissé-je me
flatter que le Public ne trouvera pas trop discordantes quelques
petites réflexions que j’ai pris la liberté d’y inserer, tantôt au
commencement, et tantôt à la fin de divers articles.
Ce qui me fait espérer que l’on aura
quelqu’indulgence pour moi, c’est qu’on verra que les petites
lettres, que j’ai eu occasion d’écrire à M. Franklin pendant le
cours de cette édition, m’ont attiré des réponses qui ne le cedent
au reste de l’ouvrage ni pour l’agrément, ni pour l’utilité.
Dans l’édition Angloise, les différentes
matieres sont mêlées ensemble presque sans ordre; et le volume de
celle-ci étant grossi de plus d’un tiers, cette espece de confusion
en auroit été d’autant plus désagréable. J’ai donc cru devoir
présenter séparément tout ce qui a rapport à l’Electricité; et
ranger le reste ensuite, non seulement par ordre de matieres, mais
encore, autant qu’il m’a été possible, dans l’ordre des dates. Ces
deux Parties s’étant trouvées à peu près égales, et ayant très-peu
de rapport entre elles, les amis de l’Auteur et les miens m’ont
conseillé de les partager en deux Tomes, que diverses personnes
aimeront mieux avoir séparément, et que les autres pourront faire
relier en un seul volume.
On a placé tout au commencement le portrait de
l’Auteur, et à la fin de chaque Tome les figures relatives aux
objets qui y font traités.
Une chose qui paroîtra presqu’incroyable,
quoique très vraie, c’est que M. Franklin, toujours occupé d’une
multitude d’affaires graves, tant publiques que particulieres, n’a
jamais fait de la Physique que son délassement; connoissant aussi
peu les heures perdues, que beaucoup de gens ici ne connoissent
l’emploi du tems. Né avec un esprit solide, et élevé au milieu des
Quakers, il a su n’en point prendre les singularités, mais
où auroit-il pris des goûts frivoles? Dévoué sans relâche au
service de sa Patrie, il a été constamment chéri et révéré de ses
Concitoyens, l’ame de leurs conseils au-dedans, et chargé de leurs
intérêts au-dehors; présent, absent, il a toujours rempli leurs
voeux, et réciproquement il a toujours sû leur inspirer tout ce
qu’il a voulu pour leur bien commun. Les sciences utiles ont fait à
Philadelphie, sous son influence, des progrès d’une rapidité
presque sans exemple; et la Société Philosophique qui s’y est
formée, à laquelle toutes les Colonies voisines ont pris part, et
qui l’a choisi pour Président, a donné dès la fin de sa seconde
année un volume de Mémoires, où l’on voit avec admiration un si
parfait accord du savoir le plus éminent avec la vertu la plus
pure, qu’on trouveroit difficilement dans l’ancien monde quelque
chose de comparable à ce début du monde nouveau.