A Monsieur |
Franklin Deputé |
des colonies unies |
de l’Amerique. |
La Liberté n’est pas ce qu’un vain peuple pense,
le droit de déclamer sur tout avec Licence:
qui ne respecte rien doit tout apprehender;
de trop de défiance on doit bien se garder.
Excepté ces climats peuplés d’hommes sauvages,
de chaque nation toutes les Loix sont sages:
leur sagesse pourtant n’empêche pas l’abus;
on peut trouver partout des hommes corrompus
qui du malheur public font leur bonheur suprême;
leur joye éclatte enfin quand le mal est extrême.
Mais de ces vils mortels qu’on ne peut trop haïr
le nombre est rare; tous n’aiment pas à trahir.
Dans ces tems nébuleux où l’argent seul décore,
et non pas la vertu, l’on voit partout encore
l’amour de la patrie agir sur tous les coeurs;
on la chérit toujours quoiqu’on y soit sans moeurs
par cet heureux penchant que rien ne peut détruire,
au sein de la nuit même, un nouveau jour peut luïre
l’état est ébranlé, sa chute fait gemir;
cet amour parle, on voit l’état se raffermir;
la vertu pour un tems y reprend son empire;
alors ce tems est court: mais l’ardeur qu’elle inspire
augmente et peut durer dans un état naissant;
c’est par ce moyen seul qu’il deviendra puissant.
La probité, l’honneur en éloignent le vice;
il est, si l’on dit vrai, rare qu’on y punisse,
le crime souille peu ce climat fortuné.
Et sous un ciel si doux, et là Franklin est né,
Franklin qui vient ici briguer notre alliance
pour des peuples deja connus par leur vaillance!
Le bruit de leurs exploits passe au delà des mers,
et deja leur sagesse étonne l’univers.
Des vrais Republicains les ames sont très fières:
Franklin, j’entends vanter ton esprit, tes lumières,
quel motif a donc pu te conduire vers nous?
Songes-tu bien qu’ici nous obeissons tous?
Tes peuples n’ont qu’un cri: vive l’indépendance!
Et tu crois que ce cri n’allarme point la France,
pays où sans regret nous naissons tous sujets?
Homme Libre, tes goûts, tes desseins, tes projets
peuvent-ils s’accorder avec l’obeissance
à laquelle on se voüe ici dès sa naissance?
Par l’exemple souvent les hommes sont changés,
nous pourrions t’ammollir...tu nous as mieux jugés.
Sous un Roi vertueux tout fleurit, tout prospère;
il n’a que des enfans, du peuple il est le père;
la Liberté triomphe, et tous font leur devoir.
C’est dans ces tems brillans qu’un sujet peut avoir,
comme un Republicain, l’ame grande, elevée:
la circonstance est belle, et Franklin l’a trouvée.
Philosophe celebre, illustre député,
tu ne seras jamais assés félicité.
Que tu dois t’applaudir de ton heureux voyage!
fier de notre alliance, et fier de ton message,
Franklin, retourne apprendre à tes peuples chéris
que l’on n’est pas plus libre à Boston qu’à paris.
Le prevost d’exmes