J’ay un fils a qui la Nature semble avoir donné touttes les
dispositions morales et phisiques pour faire un bon militaire: il
attend avec une impatience extrême que des personnes de
consideration qui ont des bontés pour moy L’aïent placé. Ces jours
derniers il a entendu faire l’eloge de Mr Le marquis de la Fayette
De Mr de Rochambault et de plusieurs autres seigneurs français qui
ont merité la confiance d’un peuple estimable qui deffend sa
liberté. Depuis ce tems il m’a beaucoup entretenu du desir qu’il
auroit d’aller essaïer son Genie(?) au service de vos dignes
compatriotes, et c’est luy qui a imaginé de s’adresser a vous
directement pour vous prier de luy obtenir de l’enploy dans un des
regimens qui sont passés aux isles. Je n’ay pu me refuser a ses
sollicitations reiterées et j’ose, Monsieur, vous suplier de
jetter un regard favorable sur un jeune homme plein de zêle et
d’ardeur qui choisit cet etat par goût. Il vous sera facile de luy
obtenir un grade de sous lieutenant dans tel regiment qu’il vous
plaira et je me flatte que par sa conduitte il meritera les bontés
de son illustre protecteur. Je serois infiniment flatté que ce fut
l’homme du monde que je respecte le plus et dont j’admire tous les
jours les ouvrages qui luy ouvrit la carriere de l’honneur; en y
entrant sous de si heureux auspices je ne pourois concevoir que
des esperances flatteuses pour un pere sensible. Mon fils se nomme
le chevalier Mutel, son nom de babtême est charles pierre. Daprèz
vos ordres, Monsieur, je vous adresserois son extrait baptistaire
et le certificat de noblesse.
D’un instinct passager les rapides transports
n’agitent point chez luy de fragiles ressorts.
Pour les traveaux de Mars paitri par la Nature
il prefere des camps le bruit et les dangers
| aux douceurs d’une vie obscure, |
Le panache flotant sur le front des querriers,
au bonet de Themis, a sa longue cöeffure;
Le hausse col d’airain que porte l’officier,
au colet empesé d’un abbé casanier;
L’uniforme sans plis a la pourpre de Rome,
et le maigre bidet d’un cadet gentilhomme
au char voluptueux d’un grais financier.
Dans les fastes francais il suit d’un oeil avide,
aux campagnes d’ivry ce heros intrepide,
Conquerant de la France et son pere et son roy;
a Norlingue a Fribourg le vainqueur de Rocroy,
Turenne sur ses pas enchainant la victoire,
et Vilars a denain, et saxe a fontenoy.
| De nos jours parcourant l’histoire |
Il voit un peuple altier conduit par Waginston
secouant l’affreux joug de la vaine Albion,
Aux rives du couchant meriter que la gloire
inscrive ses exploits au temple de memoire.
| Il te fixe surtout avec emotion, |
o! fier republicain, o! viellard venerable
Des Etats réunis organe redoutable
Le Nestor de Boston respecté par le temps
A la cour de Louis Franklin en cheveux blancs
toy qui sous le manteau de la Philosophie
cache le politique et le savant auteur,
Le Ministre eclairé, L’appuy de sa patrie
Du droit des Nations L’illustre protecteur.
De ton esprit semblable au fluide electrique
jusqu’aux Glaces du Nord le feu se communique
A l’oreille des Rois avec habileté
Tu scais faire gouter le mot de liberté.
Sur des bords étrangers a ta voix reverée
pour dresser ses autels l’europe est conjurée.
Ainsi dans mes foyers las d’un repos honteux
| sur les debris de la fiere Angleterre |
Mon fils impatient voit gronder le tonnerre
et contemple a regret tant de jeunes guerriers
qui receuillent sans luy des moissons de lauriers.
J’ay l’honneur d’estre avec un profond Respect, Monsieur, Votre
tres humble et tres obeissant serviteur
Mon fils a fait ses etudes, scait dessiner a apris les livres de
Mr Bezou; est instruit de la géographie. Si vous le jugiez a
propos, Monsieur, j’aurois L’honneur de vous le presenter. Il a 16
ans accomplis.