Je prens encore la Liberté d’interrompre vos Loisirs Monsieur; je vous ai importune avec beaucoup de Lettres il est vrai, mais étant toujours fermement resolu de m’établir dans l’Amerique Septentrionale avec ma famille, j’etois jusqu’ici au Desespoire de ne jamais avoir ete honoré d’aucune reponse de vous; malgre cela j’ose encore vous incommoder par celle ci, pour vous dire, que je Suis effectivement en chemin pour la Virginie en Amerique avec toute ma famille, c’est á dire avec ma femme, mon fils de 5 ans, et les Domestiques necessaires; Comme je me suis faite en Chemin jusqu’ici les meilleurs addresses et Connaissances pour le Commerce a l’avenir, je Suis resolu en attendant l’avis du Depart d’un Vaisseau Hollandois pour les Antilles de m’arretter ici encore 4 ou 5 semaines pour m’arranger avec quelques Negotians bien adroit et Speculatifs. Je compte donc de partir d’Amsterdam vers la fin du Mois Prochain.

Vous pouvez bien juger, qu’il me Sera de la derniere Importance d’etre pourvu d’une Lettre de Recommandation au Gouverneur de la Virginie, et meme au Congres Generale, comme aussi des addresses a des Gens d’une Probité et Prudence reconnû pour etre bien dirigé dans mes Demarches, j’ose vous prier trés humblement, d’avoir l’unique Grace pour moi, de m’envoyer ici ces Lettres, que je viens de vous [priez]; Vous aurez appris par Mr Metz, que je Suis un homme qui Sçait Son Metier, et qui a du Bien, et qui par consequent ne Sera a Charge a Personne en Amerique; je puis meme vous assurer Sans rougir, que je trouve assez capable de rendre de Services non pas meprisables a Votre Patrie, que regarde deja a comme la mienne, Soit dans le Militaire, Soit dans le Commerce, et dans l’etablissement et la Direction des fabrique, m’ayant acquis le plus Soli[des] connaissances par les deux riviers commercantes le Main et rhin, comme aussi a la Cour d’Hollande, et meme à l’Amirauté d’Amsterdam; j’ai l’honneur de vous assurer en outre qu’il y a plus de 30 famille dans ma Patrie gens de Bien des artistes, et des Manufacturistes de toutes sortes, qui n’attendent, que mes avis, et mes Instructions pour les D[]tions, qu’il faut prendre en Amerique pour m’y joindre, et s’y établir avec tout leur Bien, comme je Suis moi meme associé avec 5 Compagnies tous gens d’esprit, quils voudr[iont] former un fond de [60]m flo[rins] pour l’employer en Plantations, et dans le commerce ce qui me fera (comme jêspere) des Merites dans ma nouvelle Patrie.

J’ose donc vous prier Monsieur de vouloir bien m’accorder la Grace, que je Vous demande, en m’envoyant les Lettres en question, et Surtout pour recévoir des terres dans une bonne Situation, Supposé que la premiere et principale D[ ]tion consiste dans l’Agriculture: je ne doute pas un moment, que je serai heureux dans mes entreprises, quand je serai bien dirigé par les conseils, et les bons avis des vos Amis, a quils vous aurez la Bonte de m’addresser; vous mettrez le comble à vos bontes, Si vous voudries bien y joindre dans votre reponse, dont vous m’honoreréz, un peu d’instruction de ce que j’ai a faire a mon Arrivée.

Si j’avois eu le bonheur de Vous etre connû Personellement, et par consequence en Etat de Vous convaincre, Si j’etois telle, que Mr Mez vous en a fait peutetre le Portrait avantageux, j’oserois Vous prier, d’avoir la Grace de me placer dans votre armée, et de me donner le Brevét d’une charge convenable a mes talens, et a ma Sçience, encore avont mon depart de l’Europe; mais dans l’Esperance que l’on ne refusera pas a l’Amerique les bons Services, que je vais offrir aux Etats réunies, je n’ose pas vous prier autre Chose que les dites Lettres de recomendations, pour une quantité Proportionnée des Terres; ce comme j’espere, vous ne me refuserez pas en considerant le Zele interrompu de Servir a votre Patrie, que j’ai eu l’honneur de Vous temoigner pendant plus qu’une Année entierre, et dont Vous etes toute a fait convaincu a présent par mon Voyage effectivement commence.

Je ne cesserai jamais nie Vous regarder comme mon Pere, et comme la premiere Source de tout le Bien, que j’espere de tirer de mon Entreprise, étant tiré par je ne Scais quoi dans l’interieure de mon Ame a une Partie du Mon[de] si eloignée de ma Patrie, ou j’espere de mener une Sorte de Vie Selon ma facon de penser, [c’est] a d[ire] tranquillement et Philosophiquement, dans un [Pays] dont les habitans ont Sçu de s’acquerir a la Perte de leur Sang la Liberté le plus éstimable Bien de l’humanité.

En attendant une reponse favorable, je prie le Ciel, [qu']il vous accorde sa Benediction, et j’ai l’honneur detre avec respect Monsieur Votre tres humble et tres obeissant Serviteur