Je n’ai ni l’honneur de vous connoitre, ni celui dêtre connu de vous; neanmoins j’ose me persuader que vous me pardonerez l’indiscretion que je commets en troublant vos utiles ocupations par ces lignes; La place que vous occupez vous expose à etre sans cesse inquieté par des personnes qui me ressemblent et dailleurs, Monsieur, ces Etres privilegiés que la Nature distingue par les Talens et les vertus, qu’elle s’honore d’avoir produits, pouvant etre utiles aux autres sont continuellement obsedés; ils ajoutent à leur merite aussi bien qu’à leur gloire quand ils ont la patience de les ecouter et la generosité de leur pardonner leur temerité. Je vous demande la grace de recevoir mon epitre et encore plus de me daigner d’une reponse favorable.
Depuis le commencement de la malheureuse guerre qui a divisé l’Angleterre et ses colonies, jai desiré de passer en Amerique et de suplier vos compatriotes de me laisser prendre part à leur gloire. Deux raisons m’ont jusqu’a present mis hors d’etat d’executer mon projet; Mes Parens que jai eu le malheur de perdre, m’etoient trop attachés et me croioient trop nécessaires à leur bien-etre pour voir sans regret que je me transplantasse dans un autre hemisphère; de plus je ne savois ni coment entreprendre le voïage, ni a qui m’adresser pour me dire ce que j’avois a esperer si je l’entreprenois. Ce n’est que depuis la perte de mes Parens que j’ai été instruit; un de mes amis auxquel vous avez fourni les moïens de passer en amerique vient de me mander par une lettre de Boston qu’il s’y trouve bien et que je puis l’y suivre sans crainte, que m’adressant à vous je saurois bientot [ce] qu’il me faudroit faire pour y parvenir. Cest ce que je fais aujourd’hui Monsieur; je vous suplie de me m[arquer] si je pourrois esperer d’etre placé avantageusement dans les troupes continentales, au cas que vous me conseillassiez de faire le voïage; si je puis espérer qu’après la paix vos compatriotes m’accorderont ce que l’on doit avoir dans votre païs pour y subsister honetement; si par consequent je puis m’attendre [à] devenir un jour votre compatriote et à partager leurs privileges quoique etranger. J’ai le desir le plus vif de me faire remarquer parmi eux et des que l’esprit d’independance et de patriotisme animera mon zele; je me flatte de n’etre pas le dernier de ceux qui contribueront à la gloire de vos heros. Je n’ai point fait metier de l’art militaire; je suis home de lettres; j’ai fait mes etudes à differentes universités d’allemagne et surtout à celle de Tubingue qui apartient au Duc de virtemberg mon souverain. La ville de Montbeliard est ma patrie; ma famille y est respectée et le poste que j’ocupe doit vous persuader que ma conduite n’a jamais porté atteinte à ma réputation. Mes facultés sont minces (vous n’aurés sans doute aucune peine à le croire) mais en revanche si je n’aporte pas des richesses dans votre pais, j’y aporterai un corps que je crois assés bien formé une constitution saine et robuste et surtout un zele infatigable à l’epreuve de tous les perils. J’ai vingt cinq ans et suis par consequent bon pour trente campagnes. Enfin Monsieur j’ai bonne volonté et peut être assés de conoissances dans les mathematiques et les autres sciences pour m’en servir utilement dans le besoin. Si daprès ces traits fideles par ou je cherche à vous tracer le portrait de ma personne vous me croiez capable à quelque chose daignez m’emploïer et me mander par une reponse la maniere dont je dois me transporter en Amerique.
J’ai l’honeur dêtre avec un grand respect Monsieur Votre très humble et très obeïssant serviteur