Vous connoissés trop bien, mon brave ami, le tendre attachement de nôtre excellente Douairiere pour mr. Franklin, ma profonde vénération pour ce grand homme, enfin tous nos sentiments pour vous, pour ne pas être persuadé que nous nous entretenons souvent de vous. Hier au soir encore nous en parlames beaucoup avec M. Fleury qui a eu tant de part à la prise du fort de Stony-point. C’est un officier bien attaché à vôtre patrie, et qui sent vivement les honneurs et les bontés dont elle l’a comblé.
Vous savés sans doute tout ce que les papiers publics ont publié des dissentions prétendues qui regnoient dans les états-unis, de la révolte de l’armée, de la retraite du congrès à princetown, etc. … j’ai appris que vous n’en aviés point encore de nouvelles directes à la fin d’août dernier, mais si vous en avés eu depuis, ou si vous en recevés dans quelque temps, je vous prie de me les communiquer; je voudrois détruire les bruits qui se sont répandus, ils ont fait impression sur cette frontiere; en vain j’ai démontré la supposition de ces lettres écrites de Boston, de philadelphie, etc. … On m’a répondu, mais la gazette de Leyde toute devouée aux états-unis donne ces faits comme certains. Mettés moi en état d’en faire connoitre l’absurdité, et vous pouvés compter sur mon zele et sur mon dévouement.
Si votre traité de paix est imprimé, veuillés m’en envoyer un exemplaire, et joignés y tout ce qui peut contribuer à m’instruire et à m’éclairer. Confucius a dit qu’il falloit toujours apprendre, comme si on ne savoit rien. Il est possible que le paquet soit gros; dans ce cas veuillés me l’adresser par la petite poste à l’école militaire; il me parviendra sous contreseing.
Les mouvements des Turcs, des russes et des impériaux sur les bords de la mer noire et sur les rives de Danube sont aujourd’hui les grands objets qui fixent l’attention des politiques; les papiers publics ne parlent plus d’autre chose; je vais joindre ici ce que j’ai eu de mieux à ce sujet. Ces nouvelles sont d’un homme qui par état est obligé d’en savoir et d’en fournir; quelque authenticité qu’elles puissent avoir, je crois que tout ce que l’on peut en inférer raisonnablement, est que l’empereur et l’impératrice de Russie ne demandent qu’un prétexte pour attaquer les Turcs; mais il me semble qu’il n’est de l’intérêt ni des grandes puissances maritimes ni des états de l’empire, de les laisser faire. Quant au projet des russes de faire marcher le prince repnin à Andrinople, il me paroit impraticable sous tous les rapports, quelque ignorants, quelque indisciplinés que soient ces pauvres ottomans.
Mad. La Douairiere, ses enfants (et moi à leur suite) présentent leurs tendres respects à Monsieur votre grand-pere: recevés de ma part, mon bon ami, les assurances de l’inviolable et fidelle attachement que je vous ai voué pour la vie.