Je ne prends la liberté de vous écrire que pour vous prier de m’honorer d’un seul mot de reponse.
Il y a deux mois environ que je pris la liberté de vous adresser un petit Poëme Institulé L’Ameriquiade, auquel j’avois joins une Epitre en vers et une trop longue Lettre. J’avois envoyé le tout à Cambray, (parcequ’ici à Tournay on ne peut point affranchir de paquets pour Paris,) à un nommé Herman Louis qui remit ce Paquet à un nommé La Leu. Celui-cy après avoir eté longtems sans me repondre m’ecrit “Que son cousin lui avoit mandé vous avoir remis ce paquet en main propre et que vous aviez eu la bonté de paroitre satisfait de la reception de ce paquet.” Ne recevant pas la reponse que je vous avois prié de m’accorder Je soupçonnois quelqu’infidelité de la part du S[ieu]r Laleu. J’ecrivis en consequence au S[ieu]r Herman, Le premier me repondit “je n’ay point reçû de reponse de Paris, L’adresse de mon cousin est felix courtin chez Monsieur Enocques M[archan]d de Vin ruë grenelle fauxbourg St. Germain à Paris.” C’est a dire celui qui a dû vous remettre le fruit de mes Veilles. J’avoüe que dans l’accablement ou j’etois et ou je suis encore, il est impossible de produire un chef d’oeuvre digne de votre attention; mais n’aurois-je pas fait un injure à vos sentimens que de soupçonner que vous n’auriez pas daignez par compassion m’accorder je ne dis pas ce que j’esperois, une legère consolation, mais deux lignes de reponse que je vous demande à main jointe et que je vous priai de me faire il y a six semaines par une Lettre que je mis moy même à la poste de cette Ville où j’ay été et suis encore comme prisonnier pour une très petite debte. Je ne la demande pas: J’implore uniquement l’accusation de la reception de mon Poëme, afin que je puisse donner au S[ieu]r Laleu la reparation qu’il est en droit d’exiger puisqu’il écrit que son cousin cy dessus nommé vous a remis le Paquet que je lui avois adressé pour vous le faire parvenir.
Pardonnez à la situation affligeante ou je me trouve les égaremens de mes pensées et le desordre qui regne dans mon stile. Si je ne vous croyois pas veritablement Philosophe, en me réglant d’après les nouvelles publiques je vous donnerois le titre bien merité d’Excellence, ce n’est que dans la crainte de vous déplaire que j’exprime le profond respect avec lequel je suis, par le mot de Monsieur.
Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur