Je demande bien humblement pardon, de ce que je prens la liberté de vous adresser la présente lettre, et que je vous demande une grace par laquelle V. E. pourra me rendre heureux toute ma Vie. Je suis d’une bonne famille et né suisse, agé de 22 Ans, ayant 5 pieds 5 pouces de long et bien fait. Je demontrois deja dans mon jeune tems d’êtude, une grande envie pour le Militaire, mais mes parents n’en voulurent rien entendre et me vouêrent à l’Eglise. Quand je fus plus agé, et que je voulois choisir mon êtat, ils ne voulurent pas m’écouter, et m’envoyerent après avoir passé par 8 Classes icy, ou je devois finir mes êtudes. Ils me donnerent un Gouverneur qui devoit me forcer à devenir Eclesiastique, j’y fus environ ¾ d’an, et le tems vint d’entrer dans cet êtat; on m’exhortoit nuit et jour, mais inutilement, ma consçience, ne me permettoit pas, d’entrer dans un Etat, pour lequel je n’étois pas fait. Je m’y opposais, et tachois par tous les moyens possibles, d’engager mes Parents de me chercher une Place dans le Militaire, j’écrivis au Parentage et à mes Amis, pour me soutenir, mais mes prieres, melés de larmes ne firent aucum effet.
15 jours après, ils m’engagèrent comme Volontaire, sans que j’en sçus quelque chose, dans la Compagnie Sturler, dans les gardes suisses à Paris, et me déclarerent que presentement il falloit moi même faire ma fortune, avant de devenir libre, et comme je n’ai pas voulû me faire Eclesiastique, mes parents ne veulent plus rien savoir de moi, et ils me sont a peu près comme morts.
Votre Ex. peut se presenter presentement, dans quel êtat je dois être, dans ces facheuses circonstances, seulement l’idée d’être tout le tems de ma vie malheureux sans l’avoir merité me portent quelque fois même jusques au suicide.
Je tombe à vos genous en pleurs, pour vous demander une grace, que V. E. a eû deja pour plusieurs. M: le Cap. de frey a eû le bonheur d’avancer par votre recomandation je prie ainsi V. E. d’avoir la même bonte pour moi, et de faire auprès de S. M. autant, pour me procurer une place d’oficier dans les gardes suisses, en l’assurant qu’il aura lieu d’être content de moi. Dans quatre semaines je serois rendû à Paris. Je vous prie aussi de me recomander auprès du Comandant, et que V. E. daigne de me remplacer mon Pere, pourquoi je serois reconnoissant toute ma Vie. Je me recomande très humblement, dans votre protection et souvenir, et suis dans une bonne esperance, avec beaucoup de veneration V. T. h. et o. s.