Paris ce 2. avril 1780.
Il y a un siècle que je n’ai eu l’honneur de vous voir, j’ai été
passer quelque tems a la campagne, dailleurs n’ayant pas de
voiture, mes jambes ne me portent pas toujours ou mon coeur
voudroit les conduire. Vous vous me citerés vos occupations,
ensuitte vos plaisirs, et apres l’amour, je trouverai toutes vos
excuses tres bonnes, surtout si vous voulés prendre un jour pour
venir me les répéter vous même et diner a Saint mandé chez mes
parents. C’est notre maison de campagne, a une demie lieüe de
Paris. Donnés moi votre jour, et comptés pour arrété celui que
vous aurez déterminé. Vous auréz un vrai diner de famille. Je vous
attendrai chez moi ou vous me prendréz a une heure, ou une heure
un quart.
Je crois vous avoir toujours montré une ame désintéressée, et je
ne mesure jamais le dégré de mon amitié a l’utilité dont peuvent
m’être mes amis, et j’apprehende même d’être indiscret plus avec
eux qu’avec tout autre, je ne puis cependant m’empècher dans la
circonstance ou je me trouve, avec le désir que j’ai de retourner
en Amérique de m’adresser a vous. Et je vous prie de me mander si
par votre intercession et votre entremise auprès de M. Votre pere,
je ne pourrois pas obtenir un passage sur la frégate L’alliance.
Mon retour en Amérique avec les intentions que j’y porte ne
pourroit être qu’agréable au congrés. Quand ils verroient un
officier qui a mérité et obtenu chez eux le grade de Brigadier
général, et qui pour ne point donner de jalousie ni troubler
l’union de l’armée, se contente d’y servir comme volontaire, et de
mériter les mêmes éloges que son frere, je crois Monsieur que
cette facon de penser doit faire honneur et au paÿs a qui cette
proposition est faite, et a celui qui la fait. Je m’en rapporte a
votre amitié pour la faire valoir auprès de son excellence. Et
j’attends votre réponse avec autant d’impatience que j’ai de
plaisir a vous assurer des sentiments d’ami avec lesquels j’ai
l’honneur dêtre, Monsieur et cher ami, Votre tres humble et tres
obeissant serviteur
Je vous supplie de faire tous vos efforts pour me p[rocurer] la
grace que je vous demande.