J’ai reçu en même tems, mon digne et aimable Ami, vos Lettres du 7 Fevrier et du 10 et 28 Mars; et peu de Jours après celle du 19 Decembre 1785. Je suis on ne peut pas plus reconnoissant et sensible de ses marques reiterées de votre souvenir et de votre Amitié. Je vous ai ecrit souvent aussi—mais cela a toujours été pour vous donner de l’embarras—vous devez etre réellement fatigué de recevoir de telles Lettres et Je ne suis pas etonné que vous me demandez de vous parler de la Politique de ce pays: mais aussi, mon Ami, Je crains qu’elle ne vous fasse pas trop plaisir—si Je vous en parle au vrai,—et avec vous Je ne dois pas faire autrement.
La situation generale des Etats Unis n’est pas a beaucoup près aussi satisfaisante que durant la Guerre! Ceci doit certainement vous surprendre—mais c’est en honneur vrai. Nous sommes moins réunis, moins bons republicains, et de plus mauvaise foi! Je crois veritablement que la Conquête de ces Etats seroit plus facile dans ce moment qu’il y a dix Ans! Plusieurs des Etats particuliers sont divisés entre eux: le Papier Monoye en est une des grandes Causes: Le Bas peuple—ou plutot les plus pauvres, et ceux qui ont gagné par la Depreciation du Papier du Congrès, font actuellement des parties très fortes pour que les Etats respectifs dans lesquels ils demeurent, frappent du Papier Monoye—et le leur prete sur Hipothèque: Ils sont bien persuadé que cette Papier perdroit dans peu sa valeur, comme celui du Congrès a fait—et alors ils rembourseroient le Gouvernement, et payeroient leurs autres Creanciers qui perdroient peutetre 60 a 80 pour cent. Ceux qui s’oppose a cette Fourberie, sont exposés a etre très mal traités. Il n’y a pas longtems qu’on a brulé en Effigie le Gouverneur de cet Etat, (M. Livingston, Pere de Me. Jay) parcequ’il s’opposoit a cette exaction. Dans l’Etat de Pensylvanie on ne se comportent guerre mieux et Je ne doute pas que si le President avoit autant de Pouvoir que le Gouverneur ici—il ne lui arriveroit pareille avanture.
Mais là le President et Conseille ne sont que les très humbles Serviteurs de l’Assemblé: Ceux ci font les Loix: et les autres les font mettre en execution tant bien que mal. Je suis réllement très faché que mon ayeul ait accepté la Présidence on s’attend ici et en Europe qu’il sera en Etat de reunir toutes les Parties pour le bien de la Chose—mais on se trompent fort. Sa Reputation est bien établi partout, mais son Influence dans l’Assemblé est très borné:—et a son Age il n’a pas assez d’Activité pour l’augmenter.
Il a été question, comme on vous la dit, de me faire Membre du Congrès pour l’Etat de Pensylvanie: Mr. Morris le desiroit beaucoup: mais il ne l’a pu effectuer a cause de l’espece de Convention que les deux Parties dans l’Assemblémont fait pour determiner leur Choix—et sans quoi—il auroit été presque impossible d’en nommer de tout les deux Parties etant a peu près d’egale force. N’est t’il pas cruel qu’un Pays comme celui cy fait pour etre heureux, et qui pouroit l’etre si aisément,—soit rongé de factions comme il est. Si quelque Puissance vouloit nous declarer la Guerre Je crois qu’elle nous rendroit service. Ne croyois [sic] pas pourtant que Je perds l’Esperance de voir ce Pays sage et heureux comme il devroit l’etre—non Je crois que lorsque nos Affaires empireront nous ouvrirons les Yeux—et nous verrons notre veritable Interet. Vous trouverez peutetre cet Etat des Choses different de celui que donne mon Ayeul dans un de nos Papiers Public: vous sçaurez pourtant les alliers en quelque sorte: et vous n’oublirez pas qu’il ecrit pour le Publique et que j’ecris pour mon Ami; qui Je sçais bien ne fera pas une mauvaise usage de ma Lettre.
Adieu mon cher Ami, Je remets a une Occasion que J’aurai dans peu, a repondre a plusieurs Articles de vos Lettres qui me regarde particulierement.
J’ai été a Philadelphie il y a peu de Jours; tout le monde se portoit bien. J’imagine que mon Ayeuil ou Benjamin vous ecrira. Faites bien mes Amitiés a toute votre Famille a la Maison, Chaumont, Brillon, Dailly etc. Je vous embrasse bien tendrement.