Je ne puis vous exprimer le plaisir que nous ont fait vos lettres et surtout les détails dans lesquels vous etes entré sur vôtre santé et sur tout ce qui vous est personnel. C’est une pensée bien douce pour nous et sur laquelle nous nous arretons avec complaisance qu’à l’age où vous etes arrivé et après avoir fourni une carriere si glorieuse vous aves retrouvé dans le sein de vôtre patrie toutes les jouissances dont votre age est susceptible. Vous saves à quel point nous desirons qu’elles se prolongent. Soyés sur que cette esperance est necessaire à nôtre bonheur. Je vous parle ainsi au nom de toute l’académie d’auteuil. Puisque ses productions vous ont amusé un moment en voicy de nouvelles auxquelles je serai bien flatté que vous et vos amis donnies encore votre suffrage comme à la particule on. Elles sont encore dans votre genre de plaisanterie et je pretens que c’est du swift avec un peu moins de sa noire misanthropie. Le docteur jonathan et le docteur Benjamin sont au moins les modeles que j’ai eus sous les yeux et peutetre la nature m’a t’elle donné quelque chose de la tournure de tous les deux dans l’art de dire la verité en riant ou sans avoir l’air de la dire. L’ embarras est qu’on ne peut pas rire tout haut de tout ce qui est vraiment risible. C’est une chose très serieuse que la dedicace de vôtre college dans le comté de Lancastre et la belle procession et la ceremonie religieuse ou se sont trouvés rassemblés presbyteriens, anglicans, lutheriens, catholiques, Moraves, e tutti quanti. C’est là de la tolerance en action. J’ai traduit tout le pamphlet que vous m’avez envoyé et je l’ai fait inserer dans notre mercure. Je crois bien que beaucoup de lecteurs n’en auront pas saisi le fin mais il ne sera pas perdu pour tout le monde. Vous voyes que je continue de propager autant qu’il est en moi la tolerance religieuse mais je n’abandonne pas pour cela la tolerance commerciale et je crains que cellecy ne fasse pas assés de progrès chès vous. Je vous dirai à ce sujet que je ne regarde pas les droits sur les marchandises etrangeres qui vous semblent necessaires dans vôtre pays à raison de ce qu’on ne peut pas y etablir des impots directs je ne regarde pas dis je ces droits comme contraires à la liberté du commerce quand on ne les etablit que comme ressources des finances, mais j’ai peur qu’on ne les regarde parmi vous ainsi qu’on fait encore dans toute l’europe comme une belle operation de politique dirigée à accroitre le commerce et la richesse nationale aux depens du commerce et de la richesse des etrangers ce qui est une grosse bêtise. J’ai lieu de croire que vous pourres la faire comme nous d’après la lecture que je viens de faire d’un Pamphlet imprimé à Philadelphie et selon le titre qu’il porte 10 à la societé for Political enquiries dans votre maison et en vôtre presence; l’auteur y conseille des droits et des prohibitions pour conserver à l’amerique unie la navigation de port à port comme si avec tous les avantages qu’elle a en ce genre elle pouvait craindre la concurrence des etrangers; comme si elle n’avait pas assés d’autres emplois à faire de ses capitaux et de ses hommes beaucoup plus avantageux; comme si les gênes resultantes pour son propre commerce et celui des nations etrangeres d’une pareille legislation ne lui feraient pas perdre plus qu’elle ne peut se proposer de gagner; comme si elle avoit besoin d’une autre marine que celle qui se formera naturellement par le bon marché des matieres premieres de la navigation et la pêche etc. Quand vous me parles de droits d’entrée dans vos ports que vous etes dites vous obligé d’etablir pour fournir à la depense publique et au payement de votre dette nationale et que vous detruires sitot que vous pourres vous en passer faute, à ce que vous croyes de pouvoir etablir un impôt territorial quoique je n’approuve pas cette administration je la trouve au moins de bonne foi et peut etre passagerement necessaire. Vous leves des droits pour avoir de l’argent. Voilà qui est clair. Mais l’auteur de votre pamphlet leve des droits pour conserver à l’amerique sa navigation et une balance avantageuse de commerce. Il imite dejà les gouvernemens europeens qui ont coloré de ces mauvais pretextes toutes les tyrannies qu’ils ont exercées sur le commerce et j’avotte que c’est avec une grande peine que je vous verrois entrer dans cette mauvaise route.
Vous aures appris par les nouvelles publiques les grands changemens arrivés chés nous. Il y a tant de choses à en dire que ce ne peut etre l’objet d’une lettre. Les evenemens principaux et les operations de mr. de calonne et celles de l’assemblée des notables et celles de la nouvelle administration tout cela se trouve dans de gros livres imprimés dont quelques exemplaires passeront surement l’atlantique et tomberont entre vos mains. Si vous mettes quelque interêt à ces choses vous aures par là la facilité de vous en instruire mieux que vous ne pourriés faire par une lettre. Ce que je puis vous dire seulement et qui peut vous interesser c’est que notre nouveau ministre ou chef des finances mr. l’archeveque de Toulouse est un homme très instruit très eclairé très habile à manier les affaires et les hommes à qui tous les bons principes sont familiers et qui a la volonté ferme de les mettre en pratique. Parmi les maximes de son administration vous devez savoir que la liberté du commerce la plus entiere tient une place et qu’il n’y mettra point de restriction que celle que le forceroient d’y apporter des circonstances qu’il cherchera toujours à eloigner et à changer autant qu’il sera en lui. Vous n’ignores peut être pas que je puis rendre temoignage de sa maniere de penser parce qu’elle m’est connue par une liaison de près de 40 ans qui subsiste toujours. Ce sont là des esperances pour notre pays; mais le desordre anterieur et d’autres causes que je ne vous dirai pas peuvent traverser ou retarder plus ou moins les operations de ce nouveau ministere et nous sommes dans un moment de crise qui peut jetter tout notre espoir à bas. N’importe j’espere toujours comme vous saves les progrès ulterieurs de l’humanité et je me suis avisé d’exprimer ce sentiment par une petite allegorie que je vous envoie. Notre dame d’auteuil a bien joui de toutes les bonnes nouvelles que vous nous avez données de vous et surtout de la lettre que vous lui aves addressée à elle même. Elle vous repond ainsi que l’abbé de la roche. Ses chats sont un peu diminués en nombre graces au bull-dogue que votre petit fils nous a laissé. Le mal est que nous n’avons personne qui nous debarasse de boulet c’est le nom francois qu’elle lui a donné. Il est toujours là pour nos péchés. Sa maitresse le met à côté d’elle sur une de ses 14 chaises longues et il est le maitre de la maison nous ses humbles esclaves obligés de lui ouvrir la porte environ 40 ou 5D fois dans une soirée mais elle le tient de votre petit fils et c’est bien une raison qui nous fait prendre en patience toutes les importunités dont il nous tourmente. Nous attendons avec impatience icy des nouvelles de ce qu’aura fait votre convention pour lier bien ensemble les parties de votre etat politique liaison sans laquelle vous ne pouves avoir ni prosperité entiere ni tranquillité veritable. J’ai lû un grand ouvrage de mr. adams. Si vous voules m’en garder le secret je vous dirai que je n’en ai été nullement content. Toute cette erudition sur les anciennes republiques me paroît de l’encre et du papier perdus. Je ne crois pas qu’on puisse en tirer une seule consequence veritablement logique et qui puisse determiner un homme d’etat à faire ou à ne faire pas une seule demarche. C’est dans la raison et non dans des faits tantot uniques tantôt mal constatés et mal connus qu’il faut chercher les vrais principes d’une bonne constitution et d’une bonne legislation. On a été bien plus content icy de l’ouvrage de votre excellent compatriote mr. jefferson que j’ai traduit. Il a été fort accueilli et j’en trouve les principes très bons et les faits fort bien rassemblés. S’il se fait quelque chose dans votre pays dont vous soyies un peu content et qui soit surtout relatif aux matieres de commerce et à votre constitution je vous serai bien obligé de profiter de quelque occasion pour me le faire parvenir. J’ai recü comme je le devois mr. Payne. Il peut vous avoir ecrit que je lui ai fait rendre son pont de fer que mrs. nos fermiers generaux avoient arreté au havre comme marchandise de contrebande ou soumise à des droits mais il s’est trouvé après examen que les customs offices n’avoient vraiment pas ni prohibé ni taxé les ponts qui jusqu’à present ne se sont faits que dans l’endroit même ou l’on doit s’en servir. Les officiers des douanes n’avoient pas prevu qu’il pourroit arriver un jour qu’on feroit un pont à philadelphie ou à new york pour etre placé sur la seine à paris. Les voilà avertis et ils n’oublieront pas cet article dans les new Books-rates. Il faudra aussi qu’ils y mettent bientôt les maisons si vous vous accoutumés à en faire pour les europeens. Voilà bien des folies. Je reviens à des choses plus serieuses. Je puis vous dire qu’hier le parlement de paris pressé depuis trois semaines et plus d’enregistrer un impôt du timbre avec une nouvelle subvention territoriale pour couvrir avec d’autres moyens de finance le deficit enorme que mr. de Calonne a laissé s’établir dans nos affaires a arreté et paroit tenir à cette resolution, que lui parlement n’est pas partie capable et en droit d’accepter et de sanctionner de nouveaux impots, que ce droit n’appartient qu’aux etats generaux du royaume que le roi est supplié de convoquer incessamment. Voilà comme vous voyes un grand changement dans les maximes de nos cours souveraines qui ont au moins depuis plusieurs siecles exercé et soutenu le droit auquel elles paroissent renoncer aujourd’hui. Les plus penetrans politiques ne peuvent guères prévoir jusqu’où cette demande et une assemblée d’etats generaux si elle a lieu, peuvent aller. Les evenemens seuls nous eclaireront sur cela. Ce que l’on vent voir par ce fait ainsi que par beaucoup d’autres est un changement bien grand qui s’est fait dans les idées que les nations avoient des gouvernemens et des rapports de la partie gouvernante à la partie gouvernée. Il faut croire toujours d’après mes principes sur la perfectibilité de l’espece humaine que tout est pour le bien dont on approche toujours en paroissant quelques fois s’en eloigner.
Nous n’avons pas assés de nouvelles icy de mr. Franklin votre petit fils. Je voudrois savoir comment il s’accomode de Philadelphie et s’il nous fait l’honneur de nous regretter un peu. J’entens notre genre de vie car pour nous en par[ticulier?] il seroit un ingrat; puisqu’il doit quelque souvenir à des gens qui ont connu et ses talens et son amabilité et qui [leur] ont rendu justice. Je le prie de me compter au nombre de ces gens là et d’agréer mes civilités. Mr. et Madame mar[montel] et toute ma famille me chargent de les rappeller à votre souvenir et de vous exprimer leur satisfaction des bonnes nouvelles que vous nous aves données de votre santé et de votre situation. Je n’oublierai jamais le bonheur que j’ai [eu] de vous connoître et de vous voir de près. Je vous ecris d’auteuil assis sur votre fauteuil sur lequel j’ai fait graver Benjamin Franklin hîc sedebat et aiant à coté de moi la petite chiffoniere que vous m’aves leguée en partant avec un tiroir plein de clous pour contenter le gout de clouer et de coigner qui m’est commun avec vous. Mais croyes que je n’ai pas besoin de tous ces secours pour conserver cherement votre souvenir ou pour vous aimer Dúm memor ipse mei dúm spiritus hos reget artus.