J’ose espérer que vous ne jugerez pas indiscrete la liberté que je prends de m’addresser a votre excellence, pour avoir des connaissances sur un païs, dont vous etes le bienfaiteur et le pere, puisque vous avez cooperé plus que personne, par vos sages conseils et vos habiles négotiations a lui procurer la liberté, fondement unique et solide de sa prospérité et de son bonheur futur; vous en êtes le Nestor et le grand Washingston le glaive; puissent vos compatriotes conserver encore longtems de tels chefs! Puissent ils ne jamais s’égarer des routes de la félicité que vous leur auréz tracé; et ne se servir de vos bienfaits que pour le bonheur général!
Il y a fort longtems, Monsieur le Docteur, qu’il m’est veni dans l’idée d’engager une partie de ma famille d’aller s’établir dans les provinces unies de L’amérique: elle est très pauvre, et a toutes les peines du monde a fournir à son nécessaire, au moyen d’une petite ferme, qu’elle fait valoir à la sueur de son front; c’est le triste reste des grands biens que mes ancêtres, originaires d’angleterre, ont possedé en Picardie, ou nous sommes établis dépuis plus de deux cents ans; nous servons de pere en fils dépuis ce tems-là, mais ce métier glorieux n’est pas lucratif. La branche de ma famille que j’ai l’honneur de vous recommander, Monsieur le Docteur, vient de perdre son pere, elle est composée de la mere et de huit enfans, dont les plus agès ont aux environs de vingt ans. Ils sont élevés durement à la Campagne, ils ont laissé la les prejugès de la naissance, qui ont tant d’empire dans ce païs ci, ou plutot ne les ont jamais connus. Ils sont sobres et laborieux, vertueux et sages, ils ignorent les vices dont sont infectés les habitans des villes, dont ils toujours été éloignés. De tels émigrans, vous en conviendrez, Monsieur le Docteur sont précieux a recüeillir, et s’il n’en passait que de pareilles dans votre patrie on y verrait bientôt renaître l’âge d’or. Je vous les offres pour voisins en vous suppliant de vouloir leur servir de protecteur et de pere; il sera peut-être possible de leur trouver un Etablissement dans le voisinage des vôtres. Si vous leur accordéz vos bontés, ils se dètermineront facilement a transplanter leur petite ferme dans votre païs. Je préfererais que mes chers parents s’établissent dans la Pensilvanie, dont le climat me semble plus propice que celui des autres Etats, et le genre de culture plus rapproché du nôtre; d’ailleurs ce que l’on rapporte des moeurs de ses habitans, de leurs vertus, de la simplicité champêtre dans laquélle ils vivent, et de leur tolérance en matiere de réligion, me donne en faveur de ce païs une préférance presque décidée, à moins que daignant m’honnorer de vos conseils dans une conjoncture si délicate, où il s’agit du bonheur de ce que j’ai de plus cher au monde, vous ne jugiez plus a propos de les addresser ailleurs. J’ose vous assurer pour fruit de vos bontés, de ma part et de la leurs, d’une reconnaissance sans bornes, et de l’attachement le plus grand et le plus respectueux, avec lequ’el je suis Monsieur le Docteur Votre très humble et très obéissant serviteur