From —: Memoir (unpublished)
île et Côte St Domingue. ce 17 juin 1778./. Au Piton Des flambeaux./.

L’Angleterre fixe aujourd’huy L’attention de L’Europe entiere. Ses Débats avec La nouvelle angleterre offrent partout Le Spectacle Le plus intéressant. Rien n’échape a L’oeil Spéculatif Du politique habile a Peser L’intérest Des Rois, et Calculer La force Des états.

Depuis que Les anglais Sont en guerre avec Les américains, on S’aperçoit non Sans étonnement Combien L’esprit De leur gouvernement a Changé Dans Londres même. Jadis L’universalité Des opinions, Le Concours De toute La nation à ne voir que Le Bien public, à Le vouloir et à Le Sçavoir éxécuter, Lui Donnait une Supériorité qui ne Semblait faite que pour elle. Tous Les autres peuples etaient a Ses yeux Comme esclaves De Leurs princes presque toujours Dirigés par des ministres plus ou moins habiles a tenir Les Rêines De L’Etat.

La Cause du Roi D’Angleterre Devient Sans doute Celle De tous Les Potentats Relativement a Leur intérest particulier, mais à Consulter Le grand Systeme Politique Des Couronnes, il etait Dangereux que L’Angleterre prit trop de Consistance. Cette puissance Réûnissait en elle une force Centrifuge que Le Système Des autres gouvernements aurait eu Baucoup de difficulté à Surmonter (Surtout Si Le Sien fut Resté Dans Ce parfait dégré De force, de Sagesse, et D’énergie qui La pendant Longtemps Carracterisé. Mais comme Les meilleures Choses ne peuvent éternellement durer, on a Sçu Réduire adroittement L’Angleterre a cet état morbétique Dont Les plus Sçavants medecins Du Roi ont Conduit progréssivement La Cure non moins merveilleuse que delicate. Ces Chers Docteurs ont mis a L’usage D’une tizanne a La Royale tous Les anglais, même Les plus incredules sur La medecine Politique et universelle.

Un Etat Se fond et Se Refond Comme un Navire Dans Les mains D’un Constructeur habile, Le vaisseau de L’Angleterre sera Rasé Sur Ses hauts et on est décidé à Le mettre en demi galere. Les flots D’un peuple arrogant et mutin ne donneront à L’aide De cette Construction nouvelle que des Secousses Legeres, Le pilote n’en Sera point ému, et tous Les anglais Serviront Sur Ce vaisseau Sous Le Commandement du Roi (maitre après Dieu) De toute L’angleterre. Son état major maintiendra autant par amour que par devotion La puissance Royale et absolüe: envain La nature Se Croira-t-elle humiliée, C’est Le plus grand Bien qui puisse Lui arriver.

Les Chambres en angleterre ne Ressemblent-elles pas a Ces academies ou Chacun Disserte Sur les affaires De L’Etat, en y mettant ou trop De prétention ou trop de Chaleur. Chaque membre croit en Sçavoir assez pour gouverner Lui Seul L’état entier. Dans Les premieres Siecles les théories etaient moins affermis, Les nations aussi etaient plus agrestes. L’art Politique ne faisant a peine que D’Eclore n’avait pas persuadé Les nations de La Sublimité De cette Science, Dont on a fait Deja accepter Les premiers Elements aux anglais, Sauf a Les y perfectionner de plus en plus par La Suite (Car tel est notre Plaisir) Les Monarques dans des temps plus Reculés gagnaient Du terrein L’épée a La main, et Dissipaient Les factieux à force ouverte. Leur Ambition etait aussi plus Bornée à Raison De leur intérest a menager un peuple et Ce fondé Sur Le Besoin qu’ils en avaient pour parvenir plus aisément a Leurs fins. Aujourd’huy Le Monarque Dont Le genie et L’Ambition Sont gradués sur Le Cercle de La puissance et de L’authorité qu’il Embrasse, parcourt avec La Regle et Le Compas toutes Les Lignes De Son Royaume, et Sçait Rassembler au Centre Sous Son obeissance Chaque Suget. Son pouvoir S’étendant partout, Ses Connaissances atteignent fort Loin.

Qu’un Particulier Anglais Se juge Dans L’interieur? Il n’en est pas un qui ne desirat être nommé Lord maire. Si L’Ambition est de L’état du Prince, en montrer trop peut être Blamable Dans un Particulier. Ce n’est pas que je veuille aussi éxalter un Roi que L’esprit De Conquête porterait a verser Le Sang De tous Ses Sugets, De l’avis Du Sage il passerait pour un forcene plustôt que pour un prince ambitieux.

La Nation anglaise Doit Se féliciter D’avoir perdu De Cette Rudesse qui en Roidissant Le nerf D’un gouvernement trop fier et trop altier occasionnait De frequentes Crispations a L’Etat. On a du Sans doute proffiter De Ces attaques et plus on a Senti La nécessité D’affaiblir Le veritable esprit De la nation, plus on S’est étudié a provoquer Ces mêmes attaques.

Quest-ce qui Constitue une nation, quest-ce qui La Rend vraiment Recommendable aux yeux De L’univers C’est Son culte Relligieux, Ses Lois Sages, Son gouvernement éclairé, Son administration integre, Son attachement à Ses Rois, Ses moeurs Douces et Polies, Son esprit fléxible et Capable De Subordination. Une nation qui Sçait Se Respecter en honorant Ceux qui Decorent La Couronne, une nation qui Se Bat jusqu’a La mort pour elle et pour Son Roi intéresse Lui Même à La deffendre et à La proteger envers et Contre tous.

Les Seigneurs anglais qui ont voyagé à Paris ont Senti Combien il etait Doux de Regner Sur des [??] et des C [??] français, frapés D’admiration, ils desireraient qu’a La Cour D’Angleterre on put travailler a Rendre Les anglais aussi parfaits. Le françois est Le Roi De tous Les peuples, Le francais est Le peuple De tous Les Rois.

Qu’une nation qui Reconnait un Souverain, pretende en Chef gouverner L’Etat, et veuille Déterminer L’Emploi De Ses Revenues, Cela offre trop De Contradictions pour que L’on entre Dans un mur examen Sur une pareille question d’Etat. Le roi S’il a La puissance en main? fait Bien de maintenir Son authorité. La nation anglaise Devait Prévoir que tôt ou tard Des Révolutions Dont Son Roi Sçaurait proffiter tant pour Sa gloire particulaire que pour Celle De tous Les monarques de La terre, assugettiraient Le peuple anglais fier et mutin et Le Contraindraient a venir embrasser Les pieds Du thrône De Rois qu’il a Si Souvent outragés. Lorsque Les Colonies Anglaises Se Sont Révoltées elles n’ont Suivi que L’impétuosité D’un genie qu’éxaltait encore La phisique De leur Climat. Elles Se Sont crûes vraiment Libres, mais encore peu versées Dans La Science D’une politique perfectible, elles Sembleraient avoir Suivi trop Rapidement Le projet De leur indépendance, Si avant de Le mettre à éxécution; elle n’eussent pas été Certaines D’être un jour apuyées par Des puissances Dont Les interêst Politiques Se Réûniraient immanquablement aux Leurs. Je me persuade Difficilement que Le plan que Les Colonies Se Sont tracé n’ait pas été murement Combiné et Réflechi. Je conçois à La verité qu’il est de La gloire Du Roi D’angleterre De Subjuguer Ses Colonies, mais je ne perds pas De vue égallement qu’il est de L’interêst Des autres Puissances De S’oposer à Sa Reûssite. Dans tous les Cas, Le Roi D’Angleterre aura toujours Baucoup gagné en Subjuguant Les anglais chez eux mêmes.

Voicy une Crize Cruelle pour L’angleterre, et je ne vois pas quel Remede puisse aporter La nation a un mal qu’elle auroit du prévoir il y a deja Longtemps.

Faisons l’analyse De Sa Situation.

Les Colonies Sont Divisées avec La metropole, il est de L’avantage Du Commerce De celle cy De faire La paix avec elles, mais une Reconciliation De quelque maniere qu’elle puisse être modiffiée parrait impratiquable.

1°. parcequ’il y aurait trop peu de Sureté pour Les colonies à S’y prêter.

2°. parcequ’il est De La gloire Du Roi de ne leur pas Ceder.

3°. en Consultant Celle même De la nation, plustôt encore que Son interêst, Les armes Doivent nécessairement en décider.

Sous Ce dernier Point de vûe Les difficultés que Le Roi ne manquera pas De Rencontrer De la part des puissances interessées à Ce qu’il échoue Dans cette grande Entreprize, aulieu De lui offrir Des Lauriers Dignes de Lui, Ne lui Presentent que de tristes Cyprès. Le Roi est fort occupé, Ses ministres Doivent L’être Bien davantage. La nation crie nuit et jour, Les colonies Sont trop loin pour entendre. A qui Donc avoir Recours, Serat-ce a la france? à L’Espagne? Voila une position que Les francais qui passent pour gens d’esprit, trouveraient fort Embarrassante.

Je crois que tout Bien Considéré avant de S’occuper aussi Serrieusement Des affaires de L’amerique, il est important pour les anglais De Retablir dabord chez eux L’intelligence, L’harmonie, et La paix. Ils doivent s’en Raporter pleinement à Leur Souverain ne pas parler Surtout De declarer La guerre à La france ou à L’Espagne, car il est un proverbe qui Dit “tant va La Cruche à Leau qu’a La fin elle y Reste.”

Si L’angleterre Se trouve forcée a Declarer La guerre, qu’elle achette La paix a quelque prix que Ce Soit, Dut-elle Rendre Sans Coup ferir tout ce qu’elle a usurpé tant a La france qu’a L’Espagne. Est-ce que messieurs Les anglais ne S’estimeraient pas assez heureux Si Leur Roi, qu’ils auraient apris à Respecter, Protégoit Le Commerce chez eux, et Les maintenait Dans Leurs anciennes Possessions.

Quel Honneur pour L’Angleterre D’obeir à un monarque qui a mis Sa gloire à vanger La Sienne, et a montrer a tout L’univers que Les Rois ne Sont pas Des hommes Comme Le Commun des hommes, que Leur ame est D’une trempe au dessus De Celle du vulgaire./.

Notation: Political Remarks on the Affaires of England & Amera.
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