From Fouville (unpublished)
Lion 25e Juillet 1781
Monsieur,

Touché de votre merite Extraordinaire, Plus encore que de votre haute reputation Je me fais une sorte de gloire a moi-meme d’avoir ainsi que j’en suis fortement convaincu quelque chose d’interressant a vous communiquer Pour les succés et la Prosperité du peuple americain auquel vous avés Jusqu’a present rendu de si Importans services.

Jusqu’a present Monsieur, je ne m’etais occupé qu’a trouver quelque heureuse Invention pour faire triompher les Espagnols devant gibraltar, les Sarrasins (?), et les Plaisanteries que mes oreilles entendaient chaque jour, me remuaient l’ame vivement et me semblaient personelles, non seulement parcequils sont nos alliés de tant de manieres, dont la Plus respectable sans doute est celle du sang auguste qui circule sur les deux thrônes, mais j’etais encor sensible a l’affront que ce siege semblait devoir faire a la reputation de nos Ingenieurs qui Passent avec raison pour les Plus habiles des nations connues.

Il y a deux ans au moins que je declarai en Plein caffé que si Les Espagnols faisaient bien, ils chercheraient a voir ce qui se Passerait dans la Place dont ils commencaient le blocus ou siege; car je ne savais positivement pas ce quils avaient envie de faire. On se moqua de moi de toutes Parts, quoique Pour leur Prouver la possibilité de la chose, je leurs Proposasse mille choses probables qui devaient leurs ouvrir les yeux de l’ame, et les convaincre, comme l’Experience des siecles Passés, et meme du présent Plus célèbre neanmoins que les Precedens, m’a appris qu’un homme a talens ne doit Point s’arrêter aux vains Propos. J’attendais l’issue du siege tranquillement me reposant toujours sur les talens de mes compatriotes. A la fin on a tiré de tous [côtés?] contre gibraltar une multitude innombrable de boulets et bombes, a ma grande surprise, car je croyais bien sincerement qu’une Explosion subite et totale de ce maudit rocher en serait le denouement. Si vous aviez la curiosité de me vouloir entretenir un jour de cet objet, je vous dirais, ce qui m’etait venu dans la pensée la dessus; mais voyant que ce n’etait point la la marche qu’ils avaient tenu, je cherchai Partout une bonne carte de cette fameuse Place, dont je voulais Reconnaitre par moi meme le sujet de son orgueuil, mais je ne trouvai que des cartes informes et Plustot faites a ce que je compris d’idée, qu’autrement. A la fin un anglais qui aime beaucoup les americains, et a qui je demandai sil n’avait point cette Carte, m’indiqua une que je tiens maintenant, faite Par un Espagnol sans doute, Puisque les nottes sont ecrites en cette langue.

Je ne L’Eus Pas Plus tost vue, que je sentis la Possibilite, a l’aide des Idées que je m’etais formé auparavant de quelques machines que j’avais imaginé de reduire Infailliblement cette Place, ou l’on depensait inutilement tant de Boulets et de poudre. Malheureusement pour moi cette meme carte, dont je viens de vous parler n’a point d’Echelles, Pour m’assurer de la distance, ou de L’Etendue des parages, des mouillages de leurs profondeurs, de la largeur de cette baye surtout a son Entrée. Je ne voyais de bien distinct en tout cela que les deux Portes, L’une ditte de terre, a cause quelle est absolument de ce côté, et l’autre de mer, Parcequ’elle me parait etre Pour recevoir ce qui est apporté Par mer. Je cherchai Pour eclaircir cet objet quelqu’un qui aurait été a gibraltar; a la fin le hazard me fit rencontrer un homme de bon sens qui me dit que la distance de l’une a l’autre porte n’avait pas au dela de 2 a 300 pas. do. 2 a 300 Pas.

Je compris pour lors, que le succès d’un blocus parfait etait indubitable, et se pouvait exécuter, fort aisément. Il est bon Monsieur, de vous observer que jusques la je croïais que gibraltar etait un port de mer, fait comme les autres a peu près, tel que celui de marseille le seul que Jaye Jamais vu. La dessus j’ecrivis naturellement mes Idées a Mr. le comte d’aranda dans deux lettres. Dans la premiere ecrite avant la decouverte de la carte que j’ai maintenant, je lui fis la description exacte de la machine, ou vaisseaux a preparer pour remplir mon But qui etait de fermer absolument ce prétendu port, dans ma seconde Lettre Ecrite il y a cinq a six jours je conviens de mon Erreur, mais je soutiens quil ne faut que les multiplier pour fermer L’Entrée de cette Baye qui sert de port.

Enfin le particulier voyageur que je viens de vous citer Plus haut, m’ayant assuré que la distance d’une porte a L’autre, n’etait peut etre que de deux cent pas, la chose est si aisée a faire maintenant, que je suis sur quil n’y a qu’un si petit Espace a s’assurer, que je ne crains point de dire que je repondrais du succés sur ma vie, et sur mon honneur qui m’est encor Plus cher.

J’ai Encor conseillé a Monsieur le comte d’aranda, a sa cour d’Envoyer un corps de troupes Pour s’assurer de toute L’ile de minorque, d’occuper les derrieres du fort qui la deffend, et de placer une de ces machines a L’Entree de son port, et malheur a tout ce qui se trouvera dedans lorsquelle s’y Placera. Je repons du succés d’autant mieux de cette Piece que J’ai trouvé Plusieurs Personnes yci, qui ayant vu et sejourné en ce port, m’ont donné Les Eclaircissemens dont j’avais besoin.

J’attendais Monsieur, avec Impatience de recevoir des nouvelles ou Plustost reponce de Mr. le comte d’aranda, mon zele Patriotique et absolument desinterressé me faisant esperer cet honneur, Lorsque Je viens d’apprendre, qu’un Ingenieur est parti de paris, pour gibraltar; et qu’avant de partir il s’est vanté hautement que tout serait fermé peu aprés son arrivée. Une telle prediction n’est pas [fort?] difficile a annoncer, d’après l’aveu sincere que j’ai fait de mes idées et de [mon] Plan, La Suite m’apprendra l’usage que l’on en aura fait; et je vous assure avec toute la candeur d’un honête homme, que Je ne m’attendais pas que mon zèle patriotique serait accueilli ainsi.

Jose assurer Monsieur, que la digue du fameux Pompée ? ? n’etait rien en comparaison de ce que J’ai inventé, cétait l’ouvrage assurement d’un simple masson, Puisque voltaire n’a pu s’empêcher de dire que si la [mer?] fut devenue Plus haute elle aurait Ecroulé, au leiu que ma machine, ou Plusieurs de ces machines semblables a un vrai rocher, resisteront a la mer en couroux.

Enfin Monsieur, Je me proposais toujour de vous L’offrir, Pour vous en servir utilement contre vos cruels Ennemis, Je n’attendais que d’avoir communiqué auparavant mon projet a Mr. le comte d’aranda. Son silence desagreable, Pour un homme qui sacrifierait sa vie sil le fallait, m’a fait quelque peine je vous l’avoue, mais ne me doit pas empêcher de persister dans les hauts sentimens, que j’ai toujours eu.

Mon Invention Monsieur, est capable d’empecher tous les vaisseaux anglais de remonter, et de descendre vos rivieres d’amerique. En les Plaçant, en les plaçant, disje avec choix, et artistement, vous les empêcherez bien surement de vous aller Bruler vos magazins, et detruire vos Plantations, vous les fixeres en un mot ou vous voudrés. Et rien ne vous Empechera, si le port de Neuwiork est fait comme le sont ordinairement tous les autres, de les renfermer eux et tous leurs vaisseaux en dedans. Pourvu que vous soyés a mème de les maitriser du côté de terre, soyés Bien tranquille du coté de la mer, rien n’y entrera, ni n’en sortira—et les seuls Petits batimens qui Croiront pouvoir y Penêtrer a raison du Peu d’Eau qui leur est necessaire, seront Brisés et mis en pieces, Par les redoutables pieces dont ma machine se trouvera courronnée.

Ne craignés Point, Monsieur, que lorsque l’on aura Plus besoin de ces Inventions, on recontrera des grandes difficultés pour les retirer de dessous L’Eau. Je n’ai point donné par Exemple a monsieur d’aranda, ce correctif la, parceque je voulais voir ce que l’on dirait avant, mais je puis vous protester que j’y ai prêvu, et l’inventeur qui est moi se flatte, qu’avec une legere precaution avant que de les Enfoncer sous L’Eau, Je me fais fort de les Enlever après et lorsque on le jugera a propos de deux manieres, dont la derniere meritera votre suffrage.

La premiere se fera avec un levier, dont la force sera telle que je craindrais plustost de ne pas avoir de Cordages assés forts pour L’Enlever, que de manquer mon coup, Par le deffeut de la puissance, a L’Egard du fardeau enorme de la machine. Cependant Monsieur, Je n’y veux Employer que des Cordages fort ordinaires, et assez menus, vous en sentés deja la raison.

L’autre moyen sera bien Plus simple, Puisque je veux que le vaisseau en question, revienne prendre son Equilibre avec L’Eau de lui meme; que monsieur d’aranda Propose ce Problême a celui qu’il a chargé de la commission ou de L’Execution de reduire gibraltar et mahon; ce sera veritablement la pierre de touche, au moyen de laquelle le vrai artiste sera reconnu.

Si vous jugies ma Présence Monsieur, utile a la Plus immediate Communication de mes Idées, je me ferai un honneur infini de me rendre aux [ordres] d’un si grand homme, dont j’ambitionne l’approbation; elle servira de mon[ument] et d’Epoque dans ma famille a Jamais. Je ferai le voyage a mes dépens, pour ne pas dementir le desinterressement parfait dont je fais proffession, qu[oique] je ne soye Pas Bien riche, mais simplement philosophe. Quel Lan[gage] moi qui dis n’etre Point ambitieux, cependant, que d’ambitionner votre Estime Premierement, et celle de tout l’univers, ne pourraisje Pas Encore pour diminuer mon amour propre d’autant ajouter que, mon animosité contre les anglais vos Ennemis invétérés est telle que je ne cesserai de les hair, et de leur [ ] quoique moi meme si enclin a aimer mes semblables de quelque Pays [qu’ils] soyent, Jusqu’a ce que je les vois au moins reduits a ne pouvoir porter Leurs mains souillées de meurtres et de brigandages que contre eux memes.

Je suis Monsieur, avec un Profond respect et a jamais Monsieur Votre Tres humble et tres obeïssant serviteur

fonville [fouville?]
maitre en chirurgie rue Grolée
636455 = 035-310a001.html