From — Ducarne de Blangy (unpublished)
hirson en thierache ce 7. 8bre 1783.
Monsieur

Les qualites De premier phisicien de L’europe et De L’un des plus habiles hommes De notre temps, mais plus que tout cela encore La Droiture de coeur et L’exacte probité que tout Le monde reconnoit en vous, qualités rares aujourdhui, m’engagent, Monsieur, à mettre en vous toute ma Confiance.

Je suis, Monsieur, un peu quaker, et je ne parlerois pas ainsi à La plus part de tous nos gens D’esprit D’aujourdhui. La Droiture Du coeur et La probité sont selon moi Les premieres et Les plus indispensables qualités De L’homme, sans Les quelles Le reste ne sert Le plus souvent qu’a nous rendre plus criminels. Vous voyez, Monsieur, La Confiance avec Laquelle j’ai L’honneur De vous parler. C’est que je crois parler à un coeur Droit et bon comme Le mien. Un pareil preambule seroit vide La plus part De nos beaux esprits d’aujourdhui, mais vous vous feliciterez, vous, Monsieur, qu’il y ait encore Des hommes Droits et D’honnetes gens. Revenons à nos moutons. Du fond De La province où je suis relégué, et où mon peu de fortune me force à rester, j’ai eû L’honneur, Monsieur, De vous adresser Le 3. Du present une Lettre à L’occasion De La nouvelle Découverte de M. Mongolfier; Decouverte si interessante que je La regarde comme L’une Des plus importante qui aient jamais été faites.

Vous aves vû, Monsieur, 4. ou Cinq objets où cette decouverte sera D’une grande utilité. Je dois ajouter ici D’autres objets où elle ne sera pas moins utile:

D’abord, Monsieur, je donnerai comme incertain ce qui me paroitra incertain; et comme sur ce qui me paroitra tel. 1º. Cette Découverte me semble devoir etre utile en bien Des circonstances relativement à La marine. En attachant un ou plusieurs balons à Differents endroits D’un vaisseau Dans un moment Depuis, ne pourra-t-on pas L’empècher De faire naufrage. Ces balons allegeront Le vaisseau, et pourroient mème L’empècher De se coucher. Ce qui Dans bien des circonstances pourra sauver La vie à tout un equipage. Mais ne connoissant rien à La marine, j’ignore si Dans un vaisseau on peut avoir des balons tout prets, et plus encore si on peut se procurer Du gax à volonté. Ainsi cesi n’est qu’une idée que vous apprecierez Monsieur, mieux que personne. Mais 2º. ce qui n’est plus une idée, mais quelque chose de bien assuré c’est que Dans certaines circonstances on pourra par Le moyen Des balons sauver La vie à tout L’equipage d’un vaisseau qui viendra faire naufrage au port. Je ne peux pas m’etendre ici, sans quoi il faudroit faire un Livre; mais je vois cela si clairement, que vous pouvez, Monsieur, en être tres assuré, et sur ce seul exposé, je ne Doute pas, Monsieur, que vous ne Le voyez aussi bien que moi. 3º. En attachant un balon à La tete D’un vaisseau, au bout D’une Corde D’une certaine Longueur, cette espece de voile ne pourrait-elle pas servir à Le faire aller avec beaucoup plus De vitesse. C’est encore une idée que vous apprecierez bien. Vous connoissez, Monsieur, La mer et Les vaisseaux, et je ne Les Connois pas, non plus que Le gax. 4º. Une 4e. chose que je crois presque certaine, sans pourtant ôser y mettre ma tête, c’est que je me crois en état De faire traverser L’espace De mer compris entre calais et Douvre avec La plus grande facilité. En allant aussi vite et aussi Doucement qu’on Le voudra, et Le voyageur ou Les voyageurs volant à telle hauteur qu’ils voudront au Dessus De la surface Des eaux, à 30. 50. 100. 300. 1200. pieds D’elevation continuelle, à Leur volonté. Je ne scais meme trop Si par Le même moyen on ne pourroit pas tenter un Long voyage sur mer, c’est à Dire De 50 Lieux, et peut-etre beaucoup plus.

Cesi, Monsieur, vous Paroitra sûrement L’un Des avantages Les plus estimables resultant De La nouvelle Découverte. Mais il s’en faut De si peu que je n’en sois aussi assuré que De mon existence qu’en verité ce n’est pas La peine D’en faire la Difference.

Si j’avais ici Du gax que je ne Connois pas et un balon seulement De 2 a 3. pieds De Diametre je ferois ces experiences Là tout De suite et j’en serois assuré. 5º. Par Le même moyen, à peu prés, je ferois faire à nos Dames, à notre auguste reine comme aux autres une petite promenade en L’air D’un quart de Lieue, et meme D’une Demie Lieue, à telle hauteur qu’elles Le jugeroient convenable, à 20. pieds à 30. pieds et à cent pieds à 1200. pieds D’elevation, et aussi Doucement, aussi commodement et avec aussi peu De risque qu’on peut Le faire sur terre Dans un bon carosse. Ceci, Monsieur, vous paroitra encore un objet D’amusement bien precieux, et il n’en est pas moins certain. Sans pourtant oser encore y mettre ma tête.

Et tout cela, Monsieur, notez bien ceci, en supposant Les choses Dans L’état D’imperfection où elles sont encore aujourdhui. 6.(?) J’ai Dit Dans ma Lettre Du 3. que si cette Découverte eût été faite 12. ou 13. mois plutot, gibraltar eût été pris, en ce qu’on auroit pû y introduire une belle nuit 4. ou 5 mil hommes, et peut-etre dix. Peut-etre, monsieur, avez vous eû quelque peine à Le croire, mais non seulement La chose etoit faisable, mais facile, La seule chose qui m’eut embarassé, c’eût été De trouver Dans L’enceinte Des murs un espace assez grand pour [contenir] tous Les balons qu’il eut fallû y faire entrer. Tout Le reste ne m’eut embarrassé en rien, et j’etois sûr de prendre gibraltar. Jugez De La, Monsieur, quel changement cette Découverte va apporter Dans L’aire De La guerre. Je dis plus, c’est que je ne scais trop Si par La suitte, on ne Demolira pas toutes Les fortifications comme inutiles, n’ayant rien de plus aisé que de faire passer par Dessus Les remports De toute ville quelconque tel nombre D’hommes qu’on voudra. Je suis presque assuré De cela.

Jugez encore Dela, Monsieur, quelle a Dû etre ma surprise, en voyant Dans Le journal De Geneve, Du 27. 7bre no. 39 pays(?) [illegible] que Dans La Capitale même, oú il y a tant De gens D’esprit, tant D’hommes éclairés, tant D’excellents phisiciens, on en etoit encore [reduit?] 3. mois aprés La IVe epreuve qui auroit Dû ouvrir Les yeux à tout le monde à Demander Si cette Découverte pourrait etre De quelq’utilité.

J’avoue, Monsieur, que si j’ai été Dabord indigne De cette question, ou D’un autre coté j’ai été sensiblement flatte De voir que j’etois Le seul encore jusqu’aujourdhui qui ait eût Dû, et vû Dabord, tout L’avantage qu’on pouroit retirer de cette importante Dècouverte. Et peu s’en est fallû, Monsieur, que je ne vous en aie voulû De vous voir vous contenter De La reponse que vous avez faite Dans une circonstance oú je voyois clairement tant De choses auxquelles on pourroit faire L’application de cette importante Découverte.

Comme Dès L’instant oú j’ai vû La reussitte De La premiere epreuve, j’ai aussi appercû un grand nombre D’objets oú elle seroit très utile, j’avoue que je m’imaginois que Dans tout paris on ne parloit que Des grands avantages qu’on alloit en retirer. Mais quelle chûte en voyant La question proposée Dans Le Dernier journal? Cette question m’a reveillé, et je me suis mis á écrire.

J’avoue encore que L’un Des motifs qui m’engagea á écrire fût La peine De voir Le pauvre m. mongolfier, a qui on Devroit presque élever Des autels, comme Delaissé et regardé a peu prés comme un homme inutile, aprés tant D’obligation qu’on Lui a, et qui augmenteront tous Les jours à mesure qu’on Dècouvrira De choses auxquelles on pourra employer sa Dècouverte. Je suis trés assuré D’en Dècouvrir moi meme encore un grand nombre, Lorsque L’attention que je verrai faire à mes assertions, m’engagera à m’y appliquer. Car tout ce que j’ai Deja appercû m’est venu sans chercher beaucoup.

Dépourvû De gax, que je ne connois point, vous allez rire, Monsieur, De L’idée qui me vient Dans Le moment pour y suppleer, et faire mes experiences.

Une vessie remplie D’air, et plongée Dans Le fond De L’eau, Doit etre La même chose à peu prés que Le balon rempli de gax et plongé Dans notre air ordinaire. Il Doit y avoir très peu De Difference entre L’un et L’autre. La vessie plongée Dans L’eau tend à s’élever a La surface, comme Le balon plongé Dans L’air tend à S’elever a La surface. Tout cela me paroit clair. J’irai Donc, Dés Demain, s’il fait beau, chercher Dans notre rivierre un endroit profond et un peu rapide, oú je Compte faire mes petites experiences presque tout aussi bien qu’avec Le balon Dans L’air, et je Compte sous peu De jour, pouvoir vous apprendre Monsieur, si Le voyage en L’air De Calais à Douvre tel que je viens de Le representer est une chose faisable ou non. Mais à Defaut De ce moyen je suis assuré D’en trouver D’autres quoique non peut-etre aussi faciles et aussi surs.

Je suis persuadé, Monsieur, que si vous parliez à quelques unes De vos Dames De mon projet De Les faire voyager en L’air á une tres petite hauteur, aussi surement et aussi commodément que Dans Leur voiture, elles attendraient avec impatience La reussite de mes petites experiences, mais quand elles ne reussiraient pas aussi bien que je L’espere, j’ai D’autres moyens tout prets pour Les y faire promener quand elles voudront, mais cependant D’une facon moins amusante, quoiqu’aussi sure et aussi commode. Je suis certain De Ceux Là. Et toujours à telle hauteur et tout aussi Doucement qu’elles Le voudront. Je suis si assuré de cela que si j’avois ici un balon, je mÿ placerois tout à L’heure sans hesiter et sans La moindre inquietude. Ce dernier moyen a cet avantage qu’au lieu D’un quart De Lieue, on peut ÿ faire 2 et 3 Lieues.

Je ne finirai pas, Monsieur, sans vous prévenir que, quoique pressé par Le courier, j’aurois eû L’honneur De vous instruire De quelques uns De mes moyens D’exécution, bien persuadé que vous m’auriez gardé Le secret, si j’avois été bien sûr que celle ci et La précedente, vous eussent été remises. Je vous crois á paris, ou á passi, votre reponse inserée au journal De geneve Dernier, semble Le suppose, mais je n’en suis pas certain, et je ne pourrai, Monsieur, vous témoigner une confiance entierre que Lorsqu’ayant bien voulu m’honorer D’une reponse, je serai assuré que mes Lettres vous parviendront, et ne seront remises qu’á vous seul. Comme il paroitroit presque par Le Doute où L’on est encore à paris même sur L’utilité De cette invention que je serois jusqu’ici Le seul, avec vous toutefois, Monsieur, qui n’avez voulu rien hasarder, qui me soit appercû, et appercû Dabord D’une partie Des objets importans oú elle sera d’un grand service, je vous avoue, Monsieur, que je n’oserois confier qu’a vous seul, ou tout au plus à un tres petit nombre encore ce que j’ai appercû Là Dessus. Les plagiats sont si communs et si frequents aujourdhui en tout genre qu’on ne peut prendre trop De précautions contre cette espece De brigandage.

Quoique je ne sois pas tout à fait un écrivain De La trempe De m. De voltaire ou De rousseaux j’aurois pû cependant un peu plus soignér mon style, et mettre un peu plus D’ordre ici si Le temps et Les circonstances me L’eussent permis.

Si j’etois huit ou quinze jours avec monsieur mongolfier, je crois que nous ferions des merveilles ensemble, et peut-etre encore plus Monsieur, avec vous. Un gout tout particulier pour Les abeilles, cet insecte qu’on Dit si industrieux, et qui est neantmoins Si bête, m’a faît Decouvrir sur La façon De Les conduire et aussi sur quelques points de Leur histoire naturelle, plus De choses en 3. ou 4. ans qu’on n’en avoit vû Depuis que Le monde est monde. J’ai fait part au public De ce que j’avois appris Là Dessus, ce que je ne Dis ici que pour vous Donner, Monsieur, une idée De mon esprit D’invention et D’observation. J’ai fait sur cet insecte tant D’experiences, et je Les ai retourné De tant De Differentes façons que je ne crois pas qu’on puisse encore en faire De nouvelles. Il y a neantmoins quelques points encore, oú il faudroit en faire De nouvelles, mais tout cela coûte, et je ne suis pas riche, en sorte que je me trouve obligé aujourdjui De m’en tenir à ce que je hais.

J’ai L’honneur D’etre avec respect Monsieur votre tres humble et tres obeiss. serviteur

Ducarne De blangÿ

[At the head of the letter: voyez Les chiffres en marge.]
640355 = 040-u444.html