Jacques Barbeu-Dubourg: Prefaces to the Two Volumes of the Oeuvres (I)
“Préface” printed in Jacques Barbeu-Dubourg, ed., Oeuvres de M. Franklin... (2 vols., Paris, 1773), I, [i]-viii; “Discours préliminaire” printed in ibid.
[Before Sept. 30, 1773]
PRÉFACE DU TRADUCTEUR

Au milieu des Sauvages de l’Amérique il s’éleva presque subitement, sur la fin du siecle dernier, une Ville dont l’enceinte n’est pas encore circonscrite, et qui ne cesse de s’étendre de jour en jour suivant les alignemens qui lui furent premiérement tracés.

Son nom est Philadelphie, et l’amour fraternel est son unique loi fondamentale; ses portes sont toujours ouvertes à tout le monde; et quoique son Fondateur en ait formellement exclus deux sortes d’hommes, l’athée et le fainéant, il semble que cette exclusion même n’ait été que comminatoire; car s’il existoit un athée dans le reste de l’univers, il se convertiroit en entrant dans une ville où tout est si bien; et s’il y naissoit un paresseux, ayant incessamment sous les yeux trois aimables soeurs, la richesse, la science et la vertu, qui sont les filles du travail, il prendroit bientôt de l’amour pour elles, et tâcheroit de les obtenir de leur pere.

Les Trembleurs (ou Quakers) persécutés en Angleterre, s’étant réfugiés en Amérique sous la conduit de Guillaume Pen, y fonderent cette colonie. C’étoient des hommes d’une trempe fort singuliere. L’espece d’enthousiasme, qu’un nommé Fox leur avoit communiqué, n’avoit pour objet que les vertus morales, sans aucun dogme métaphysique. Ils s’excitoient au tremblement pour consulter le Seigneur sur tout ce qu’ils vouloient entreprendre; et après avoir médité sur leurs devoirs dans le plus profond recueillement, prenant leurs lumieres naturelles pour des révélations extraordinaires, ils se croyoient tous autant de prophetes et de prophetesses. Ainsi Pen crut que le ciel lui avoit inspiré d’acheter et de payer de deux côtés (du Roi d’Angleterre, et des Sauvages) le terrein désert où il vouloit bâtir sa Ville, afin que son établissement fût béni de Dieu et des hommes. Ces Trembleurs, depuis quelques années, ont beaucoup rabattu de leur enthousiasme, mais ils ont précieusement conservé leurs maximes et leurs usages; chacun présente lui-même son propre hommage à la Divinité; les femmes mêmes sont admises à prêcher parmi les hommes; tous sont réputés Prêtres et Prêtresses; tous s’appellent freres et soeurs, et se traitent constamment comme tels....

<Montesquieu called Penn a true Lycurgus, and the learned authors of the Encylopédie have repeated this untenable comparison. Judge trees by their fruit: Lycurgus formed a destructive people, who were subject to a thousand privations, never grew in number and never, in six centuries, produced a scholar or an artist of note; Penn formed a lovable people, who enjoy the good things of life, have increased a hundred fold in less than a hundred years, and combine respect for the arts and a keen interest in science with the greatest simplicity of manners.>

En 1746, époque mémorable dans l’histoire de la Physique par la fameuse expérience de Leyde, feu M. Collinson, de la Société royale de Londres, envoya en présent à ses bons amis de Philadelphie, un tube électrique, avec des instructions sur la maniere de s’en servir, ne doutant pas qu’ils n’en fissent un très bon usage. Ce tube, qui fut heureusement remis à M. Franklin, l’occupa tout entier pendant quelques mois, après quoi il crut devoir rendre compte à M. Collinson de ses expériences et de ses réflexions sur cette matiere.

Quoique ses Lettres ne fussent pas originairement destinées à voir le jour, elles furent bientôt publiées en Anglois et traduites en François. Elles parurent aussi neuves et aussi intéressantes à Paris et à Londres qu’en Pensylvanie, et commencerent à faire connoître à l’Europe ce Philosophe Américain qui, du premier vol, déployant ses ailes sans effort, s’étoit élevé à une hauteur dont nos plus célebres Physiciens demeurerent tout étonnés.

La réputation de M. Franklin s’est toujours soutenue, toujours accrue depuis. Sans composer aucun traité en forme, son génie s’est exercé successivement sur quantité de sujets divers; et à mesure que l’occasion s’en est présentée, il a fait part de ses découvertes à ses amis dans des Lettres familieres, où il leur propose du ton le plus modeste les idées les plus lumineuses.

Ces divers morceaux, après avoir été imprimés et réimprimés séparément, ont été réunis en un Volume in-4º. publié à Londres, où l’on en prépare encore actuellement une édition nouvelle. Mon attachement pour l’Auteur m’en a fait entreprendre la traduction, et son amitié pour moi l’a engagé à tirer de son portefeuille quelques morceaux qui n’avoient point encore paru, pour enrichir l’édition Françoise. Puissé-je me flatter que le Public ne trouvera pas trop discordantes quelques petites réflexions que j’ai pris la liberté d’y inserer, tantôt au commencement, et tantôt à la fin de divers articles.

Ce qui me fait espérer que l’on aura quelqu’indulgence pour moi, c’est qu’on verra que les petites lettres, que j’ai eu occasion d’écrire à M. Franklin pendant le cours de cette édition, m’ont attiré des réponses qui ne le cedent au reste de l’ouvrage ni pour l’agrément, ni pour l’utilité.

Dans l’édition Angloise, les différentes matieres sont mêlées ensemble presque sans ordre; et le volume de celle-ci étant grossi de plus d’un tiers, cette espece de confusion en auroit été d’autant plus désagréable. J’ai donc cru devoir présenter séparément tout ce qui a rapport à l’Electricité; et ranger le reste ensuite, non seulement par ordre de matieres, mais encore, autant qu’il m’a été possible, dans l’ordre des dates. Ces deux Parties s’étant trouvées à peu près égales, et ayant très-peu de rapport entre elles, les amis de l’Auteur et les miens m’ont conseillé de les partager en deux Tomes, que diverses personnes aimeront mieux avoir séparément, et que les autres pourront faire relier en un seul volume.

On a placé tout au commencement le portrait de l’Auteur, et à la fin de chaque Tome les figures relatives aux objets qui y font traités.

Une chose qui paroîtra presqu’incroyable, quoique très vraie, c’est que M. Franklin, toujours occupé d’une multitude d’affaires graves, tant publiques que particulieres, n’a jamais fait de la Physique que son délassement; connoissant aussi peu les heures perdues, que beaucoup de gens ici ne connoissent l’emploi du tems. Né avec un esprit solide, et élevé au milieu des Quakers, il a su n’en point prendre les singularités, mais où auroit-il pris des goûts frivoles? Dévoué sans relâche au service de sa Patrie, il a été constamment chéri et révéré de ses Concitoyens, l’ame de leurs conseils au-dedans, et chargé de leurs intérêts au-dehors; présent, absent, il a toujours rempli leurs voeux, et réciproquement il a toujours sû leur inspirer tout ce qu’il a voulu pour leur bien commun. Les sciences utiles ont fait à Philadelphie, sous son influence, des progrès d’une rapidité presque sans exemple; et la Société Philosophique qui s’y est formée, à laquelle toutes les Colonies voisines ont pris part, et qui l’a choisi pour Président, a donné dès la fin de sa seconde année un volume de Mémoires, où l’on voit avec admiration un si parfait accord du savoir le plus éminent avec la vertu la plus pure, qu’on trouveroit difficilement dans l’ancien monde quelque chose de comparable à ce début du monde nouveau.

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