From — de Mauviel du Bouillon (unpublished)
a fecamp ce 14 avril 1784 par Rouen
Monsieur

Je n’ay point Lhonneur d’estre connu de votre excellence; je ne peux mesme me procurer aucun rapport ni aucune recommandation aupres d’elle dans un payis surtout, ou il en faut pour reussir aupres des personnes puissantes, il y a une bonne raison pour ce; cest que je suis né et domicilié en province, sans cependant que paris me soit absolument etranger.

Mais Monsieur une chose me rassure, cest, que tout honnête homme est bien accueilly de votre Excellence, que ce titre seul, suffit aupres d’elle pour ôser sy adresser. Au moins c’est le bruit que la renommée de votre bienfaisance naturelle a fait parvenir jusques a moy. Ce nest pas trop dire que votre nom, connu, cheri et respecté dun pôle à lautre vous donne une celebrité dautant plus flateuse, quelle tient autant aux qualités de votre âme qu’a celles de votre esprit.

Je suis veuf Monsieur depuis douze ans, jay deux enfans, je ne suis ni ne seray sans fortune etant enfant unique dune mere qui vit ce qui met mes moyens presents fort au dessous de mes moyens futurs.

Depuis longtemps Monsieur je suis tourmenté dun desir que je prends la liberté de vous confier. Jay concentré ce desir en moimesme par celuy de voir triompher les armes des Etats unis de Lamerique, dont vous estes le digne ministre aupres de notre Cour. Le prix de leurs armes victorieuses est Lindependance et Laffranchissement du joug de la domination angloise. Je desirerois donc passer sous celle des Etats unis et pour ce, me mettre sous la protection du congres et la votre pour obtenir un Etablissement soit dans pensilvanie, La virginie ou La nouvelle yorck, si lintention du Congrés est daccorder des terres a defricher aux etrangers qui voudroient aller se fixer sous sa domination, ou mieux encor si je pouvais trouver un etablissement formé ou au moins commencé je pourrois men arranger avec le proprietaire que des raisons pourroient determiner ou forcer de vendre.

Je sais Monsieur combien il serait désagreable pour moy et mesme dangereux de passer dans une region aussi eloignée et dy arriver comme un avanturier, sans aucune recommandation, mais jay des amis qui sont ceux de tout ce qui porte le nom de La Luzerne. Je serais sur dobtenir des Lettres de mr. le comte de La Luzerne et de mr. leveque de Langres pour monsieur le chevalier de La Luzerne ministre du Roy pres les Etats unis, ils sont originaires de la province que j’habite, ils y ont une superbe terre qui a été leur Berceau et qui est la plus importante portion de leur patrimoine dont ma mere et moy sommes fort voisins; honnetes et bienfaisants comme ils le sont ils ne refuseroient pas leur recommandation a un Gentilhomme de leur province.

Mais la plus pretieuse Monsieur comme la plus importante pour moy serait sans doutte, celle que je supplierois votre excellence de maccorder, surtout apres Lavoir mise a mesme de se persuader qu’elle ne L’accorderoit ni a un avanturier ni a un homme sans conduitte, mais a un honnête cytoyen animé du desir de travailler pour ses enfans et daugmenter s’il est possible leur fortune par les voyes les plus honnêtes.

Je supplie votre excellence d’excuser La Liberté que je prends de m’adresser a elle. Mais elle voudra bien considerer qu’un homme habitant de la province, na pas les mesmes accords pour se produire et se faire recommander et proteger qu’un habitant de paris. Je La supplie de m’accorder sa protection et de me mettre a mesme de realiser avec succés le projet que jay dobtenir un etablissement dans une des provinces des Etats unis et dy vivre sous la douceur du gouvernement du Congrès qui je crois, donne des encouragements, aux nouveaux planteurs. Je suis avec un profond respect Monsieur Votre tres humble et tres obeissant serviteur

Demauviel Du Boüillon

J’habitte ordinairement La Basse normandie Monsieur mais des affaires me retiennent icy pour quelque temps.
641104 = 041-u509.html