Monsieur

dans la crainte de ne pouvoir avoir L’honneur de vous voir en me rendant chez vous, je prends le parti de vous Ecrire, pour vous demander si un homme qui vient de la Russie exprès, pour aller joindre son sort a celui des insurgens vos compatriotes, peut esperer des moyens et des Ressources icy pour passer en Amérique, et s’il y a Certitude de ce faire Employer dans ce pays la. Voicy mon histoire Monsieur, je vous crois trop prudent pour ne pas me garder le secret. Je suis un homme de condition qui a servi fort longtems en france j’ose dire avec distinction. Une injustice commise a mon egard par Mr le Marquis de Monteynard, alors ministre de la guerre m’a fait quitter le service, avec trop de precipitation peut-etre. Cette faute faitje suis venûs a Paris pour plaider ma cause, et le sejour de cette capitale m’a derangé au point que je n’ai pas pûs suivre mon affaire, parce que poursuivis par mes creanciers je me suis trouvé dans la necessité de decamper. Jai ete me refugier en Russie ou jai fais trois campagnes contre les Turcs. La paix faite jai Employé mon tems a voyager dans tout ce vaste empire, jusqu’au fond de la Siberie, de parcourir la moldavie, la valachie, la crimée, la Transylvanie, et le pays entre la mer noire et la mer Caspienne; j’apporte avec moi une histoire geographique et historique de tous ces pays la qui sera fort interessante enfin les bruits de la guerre entre l’angleterre et L’amerique m’ont arrachés des montagnes ou j’etois, pour aller au secour de la liberté que j’aime comme un cosmopolite. Jai risqué de me rendre a Paris ou je me tiens caché pour me soustraire a la vue de mes creanciers qui peut-etre me feroient arretter heureux si je remplis mes intentions. Je me donne monsieur pour un des grands militaires que la france ait jamais [eu] a son service. Jai toujours commandé en chef des volontaires et je doute qu’il y ait un officier qui entende mieux la petite guerre. Jai fais plusieurs ouvrages sur la Tactique et composé plusieurs manoeuvres. Je suis non seulement bon a la partie militaire, mais je puis aussi etre employé dans le gouvernement, dans la politique, dans L’administration, dans la marinne, le gout que jai toujours eu pour les Etudes m’a conduit au point d’etre propre atout. Beaucoup de ressources dans L’imagination, beaucoup de fermeté et de prudence, beaucoup de resolution et de temerité meme en Cas de besoin voila l’homme que je vous offre Monsieur pour aller seconder les efforts d’une nation respectable. Je vous previens cependant que je suis peu en etat d’entreprendre le voyage du nouveau monde sans etre aidé, puisque des apresent je me trouve dans le besoin. Mais aussi vous pourrez vous flatter Monsieur d’une ardeur et d’un zèle incomparable pour le soutient des interests d’un peuple au quel je suis d’avance attaché. Si cela peut S’arranger je vous prie en me faisant L’honneur de me repondre de me dire le jour et L’heure où je devrois me rendre chez vous. Je suis avec Respect Monsieur Votre tres humble et tres obeiss[an]t Serviteur