From — Delagrange (unpublished)
A Brancourt Le 29. 7bre 1779
Monsieur,

Permettés je Vous supplie qu’avec tous les sentiments de respect, jai l’honneur de vous écrire cette lettre, par les Conseils de personnes qui s’interessent a mon sort deplorable, vous suppliant tres humblement, Monsieur, d’accorder Un Regard de Compassion a une honnete famille de pauvres-honteux qui reclame Votre secours; je n’ait pour tout bien qu’un Employ de 400 l.t. sur laquelle somme il me faut prendre mon loyer, le bois, la lumiere, et le blanchissage, de sorte quil ne me reste de mes appointemens qu’environ 12 sols par jour pour nourir, et entretenir sept personnes, sçavoir mon Epouse, moi, et Cinq Enfans, dont quatre filles et un garçon, Votre Excellence voit quil Nous est tres impossible de ne pas ressentir la faim tres souvent, pour comble D’afflictions nous sommes presques Nuds, et sans linges, jai ete obligés il y a six ans, de vendre mes habits, mon linges, et la meilleure partie du peu de Meubles que j’avois, afin de ne pas laisser perir ma famille par la faim, a cause de la Cherté Extreme du pain dans ce tems, je vois encore avec douleur mon Epouse, et une de mes filles, Malades depuis six semaines, sans qu’il me soit possible de leurs procurer aucuns secours, enfin nous souffrons dans le silence tout ce que la Misere a de plus affreux, cela est d’autant plus triste pour moi que sans l’effet malheureux des Billets de Banques, j’auroit presentement 6500 l.t. de Rentes, tant de tribulations, et D’in\x09ss30s me font faire des Reflexions bien tristes, et sans la Main Adorable De L’Etre-supreme, qui sans doute a retenu la Mienne jusqu’a ce jour, ~y2 l’horreur, le Desespoir auroient dêja abregés la plus miserable de toutes les vies.

Si Votre Excellence avoit quelques doute que ma position ne fut pas telle que le Tableau que je luy en ai fait, je la supplie de s’en informer a Monsieur le Vicomte De Bethune, Rüe Du fond st. Germain, ou a Mgr. L’Eveque Comte De Noyon, ces Messieurs ayant receû des attestations veridique de ma situation deplorable, si Mr. le Vicomte de Bethune etoit Riche il me feroit du bien, Mgr. L’Eveque De Noyon a eut la bonté de m’envoyer des secours au mois de janvier dernier, mais je n’oseroit plus rien luy demander. Messieurs les fermiers-Generaux mont accordées quelques gratiffication pendant quelques années, mais ils ne veulent plus rien m’accorder, ce qui ne peut que hater ma perte.

C’est donc a Votre Excellence a qui j’ose prendre la liberté de m’adresser, la suppliant tres humblement au Nom de Dieu, de me faire la grace de m’accorder quelques secours pour cette fois seulement, pour m’aider a payer mon boulanger qui me refuse du pain, mes Enfans m’en demandent actuellement, et je n’en ait pas a leur donner, daignés Monsieur, nous accorder un Regard de Compassion, je vous en supplie, en me prosternant au pieds de votre Excellence, a qui nous aurons les obligations les plus sensibles, nous prierons le seigneur pour sa pretieuse conservation, et quil accorde a Votre Excellence des jours longs et heureux. ~y3

Vous voirés, Monsieur, par le Memoire cy contre que jai eté malheureux des ma tendre jeunesse, et que si je suis dans l’adversité presentement que ce n’est pas par ma faute, mais que c’est par le caprice de la fortune.

Jai l’honneur d’etre avec le Respect le plus profond, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur

Delagrange
Controleur des fermes, a Brancourt,
par st. Quentin.
Endorsed: DeLagrange Brancourt 29. 7bre 1779. ~y4 Le sieur Dominique Lefebvre Delagrange, est fils de Louis Lefebvre Ecuyer, sieur de la Grange, Professeur De Mathematiques, et Chef du Genie De L’Ecole D’artillerie de Metz, mort de Chagrins en 1724, de la perte Des trois quarts et demy de son bien, par l’effet malheureux Des Billets de Banques; et De Dame Louise Anne De Bourgault, a qui il resta peu de biens, apres le Decés du dit sr. De la Grange son mari, dont elle disposa des fonds, tant pour elle, que pour soutenir le dit sieur De la Grange son fils, qui Etoit Cadet Dans le Regiment De Bassigny Infanterie. Apres le Decés de Mad. sa Mere, le dit sieur De la Grange n’ayant plus les moyens de se soutenir Dans le dit Regiment, fut obligé de le quiter, et deux ans apres, ne scachant a quoy ce déterminer, il pris le party d’entrer dans les fermes Generales, ou il est depuis ce tems, dans des Emplois differents. Il y a Dix huit ans quil est a Brancourt, Controleur d’un petit Bureau de Conserve, qui ne produit que 7 a 800 l.t., Aux appointemens de 400 l.t. seulement, et prendre sur cette somme son Loyer, le bois, la lumiere, et le blanchissage de sorte quil ne luy reste de ces áppointemens qu’environs 12 sols par jour pour Nourir, et entretenir Sept personnes savoir son Epouse, luy, et cinq Enfans, dont quatre filles, et un Garçon, on peut voir que sa position est des plus cruel par tout le contenu veridique cy dessus, et des autres parts.

Delagrange

à Brancourt Le 29. 7bre 1779
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