En attendant que j’aie l’avantage de répondre plus au long à la Lettre dont vous m’avez honoré de Londres par Mr. Rey en date du 24 fevr. 1774, Celle-ci vous sera présentée par Messieurs Giraud et Planier et leurs Epouses, quatre braves et honnêtes gens, qui pour l’amour du plus précieux de tous les biens de l’homme, pour l’amour de la liberté, ont quitté leur patrie la France, et sont venus se réfugier ici, où ils se croyoient en sûreté; mais la tyrannie et le despotisme menacent de les faire réclamer, et en ce cas ils seroient livrés et sans doute perdus. Dans cette inquiettante situation ils me paroissent disposés à aller chercher, dans le sein de l’heureuse Province dont vous êtes l’honneur et l’ornement, la douceur que l’Europe marâtre paroît leur refuser. Ils emportent avec eux quelque chose, mais peu. Les fraix du voyage payés, je ne crois pas qu’il leur restera plus de 150 Liv. Sterling en argent comptant. Il s’agira donc de pourvoir à leur subsistance par l’emploi sage et solide de cette petite somme, soit en achetant quelque fond modique dans l’intérieur de votre Province ou de celle de Jersey, soit en s’appliquant à quelque branche de Commerce en détail dans l’une de vos villes, où ils pourroient aussi gagner quelque chose en donnant leçon à la jeunesse; car ces Messieurs sont gens de Lettres. Quoiqu’ils entreprennent, votre protection, Monsieur, vos bons avis et votre sage direction feront le plus grand bien à ces étrangers, en les empêchant d’êtres dupés et frustrés de leur ressource pécuniaire dans l’emploi qu’ils en feront pour se procurer un petit établissement où leur industrie puisse les rendre heureux. Souffrez donc, Monsieur, que je recommande à votre humanité et soins paternels ces quatre personnes, que le hazard m’a fait connoître il y a deux mois. Témoin journalier depuis ce temps, de leurs manieres et sentimens honnêtes, et de leur agréable conversation, le seul regret que m’a occasionné leur connoissance, a été de ne pouvoir leur faire un sort heureux. Homo sum, nilque humani a me alienum puto; et j’ai une si haute idée de vos nobles sentimens à cet égard, que quand même vous ne m’auriez pas obligeamment permis dans l’honneur de votre derniere de vous adresser quelque ami, j’aurois également pris cette liberté pour ceux-ci, vu leur situation critique.
Du reste, Monsieur, j’ai eu soin de les prévenir, qu’ils vont dans un pays où la vertu, la sagesse et l’humanité les accuilleront et les dirigeront, mais où leur industrie, leur travail et conduite constamment sage devront faire le reste.
Je vous rends bien des graces, Monsieur, de votre bel Ouvrage dont vous m’avez fait présent. Je le conserverai précieusement, et y converserai souvent avec vous.
J’ai donné depuis peu une nouvelle Edition du Droit des Gens de Vatel in 4º avec des notes de ma façon, et une Lettre aussi de moi à la tête, où je parle de vos Provinces avec un intérêt qui part du fond du coeur. J’en ai deux Exemplaires en réserve pour vous et pour la Bibliotheque de Philadelphie; j’y ajouterai quelques autres petites nouveautés que je croirai pouvoir vous faire plaisir, et ferai partir le paquet par le premier Vaisseau qui fera voile de Rotterdam pour Philadelphie.