La perseverance de vos ennemis à vous faire une guerre qui doit repugner aux sauvages mêmes qu’ils ont armés contre vous augmente tous les jours mes regrets de ce qu’on n’a pas adopté le moyen que j’ai proposé il y a environ deux ans, qui auroit forcé vos feroces ennemis a reconnoitre l’independance et on auroit encore épargné bien du sang et de l’argent.
Si apres vous avoir demontré physiquement qu’on vous voloit indignement dans les mauvaises fournitures qu’on vous faisoit on nous eut permis de courrir sur les Anglois dans la Mediterranée sous Pavillon Americain quand je l’ai proposé nous y aurions ruiné à cette époque leur commerce immense. Si ensuite Mr. de Sartine eut consenti a me donner les deserteurs qui etoient à Mets et a l’isle et au nombre de douze cent que j’avois demandé j’en aurois formé un corps de troupes occiliaires sensées être au service et à la solde du Congrès (j’avois trouvé les fonds necessaires pour fournir à l’entretien de ces troupes) et de consert avec le Capitaine Jones qui arrivoit a cette époque de son expedition de Wuithaveen, nous aurions fait des descentes dans les trois royaumes sur toute l’embouchure de la riviere du Clist et de l’Ext à deux lieux d’Exeter où j’ai habité pendant dix huit mois et chassé presque tous les jours. Nous y aurions levé des contributions immenses et brulé quelque port considerable. En debarquant à Britinston dans le Comté de Sussex où j’ai été me baigner plusieurs fois à la mer, nous y aurions devalisé trois ou quatre cents personnes des plus opulentes qui y sont regulierement à se baigner; nous nous serions servi de leurs chevaux pour enlever les principaux habitans du Comté que nous vous aurions envoyé en hotage à Passy ou ils auroient bien payé leur écot, j’aurois même tenté d’aller bruler quelques faubourgs de Londres distant seulement de quinze lieux des côtes de Sussex; à cette époque ces operations étoient sures et nous aurions encore forcé par ce moyen le Roy d’Angleterre et ses ministres a reconnoitre l’independance, nous nous serions aussy emparé des isles de Jesey et de Grenesay qui ne nous avoient pas pris encore un seul Batiment. Mr. de Sartine a refusé mes propositions dans le tems sous des pretextes bien pueriles. Il a ensuite donné les deserteurs que je lui avois demandé à Mr le Prince de Nasseau, l’usage qu’il en a fait est connu de tout le monde ainsi que ce qu’il en a couté d’argent et d’humiliation au gouvernement sans compter douze cents mille livres au moins que Mr. de Nasseau a fait perdre a differens particuliers. Ensuite on a voulu faire executer par Mr. le Marquis de la faillette les differens points de debarquement que j’avois indiqués et tout cela c’est reduit à faire depenser beaucoup d’argent en pure perte, mais aussy a t’on fait beaucoup de bruit dont nos ennemis ne s’effroyent gueres.
Il y a environ un mois que j’ai fais remettre une notte sur tous ces differens objets à Mr. de Sartine auquel j’ai encore rappellé ce que je lui ai dit il y a quatre ans du projet favori des Anglois de nous chasser du Continent de l’inde ainsi que des isles de france et de Bourbon, j’ai preché jusqu’a ce jour dans le desert et comme un bon citoyen ne doit pas se lasser de servir sa patrie j’ai encore observé à Mr. de Sartine qu’il n’y a pas d’Anglois raisonable qui ne convienne que s’il y avoit un pont de Calais à Douvre ils ne fussent à notre discretion. Je lui ai observé que ce pont a regné dans toute la Manche tant que Mr. le Comte d’Orvilliers y est resté sans qu’on en ait profité, que je desirois en bon citoyen que MM. Dorvilliers et du Chaffeau servissent ensemble sur la flotte, qu’il pouvoit resulter le plus grands malheurs de la confier à Mr du Chaffeau seul dans la Manche, la saison étant trop avancée pour y retourner; qu’on devoit se contenter de se placer de maniere a intercepter le commerce des ennemis et à leur donner de la jalousie pour l’irelande et que je ne doute pas que dans cette position ils ne risquassent de venir combattre notre flotte, qu’en ce cas l’on pourroit faire glisser quatre vaissaux de ligne, autant de fregattes et deux bruleaux dans la Manche commendés par les Capitaines Jones et Cornix et quatre mille hommes de debarquement qui commenceroient par faciliter la prise des isles de Jersey et de Grenesey aux troupes de St. Malo, irroient de là debarquer sans perdre de tems les quatre mille hommes sur les côtes du Comté de Sussex qui suffiroient pour detruire toutes les battries, lever des contributions, battre les troupes qu’on pourroit y rencontrer et que par ce mouvement qui donneroit de l’inquietude pour Londres on engageroit l’ennemi a porter toutes ses forces dans cette partie qu’on se rembarqueroit au bout de quarante huit heures pour se porter a Plimouth dont on s’empareroit certainement en l’attaquant par mer et par terre et qu’on feroit arriver de nouvelles troupes suivant les circonstances des isles de Jersey et de Grenesey pour attaquer Portsmouth et qu’en se tenant en force dans ces deux places on obligeroit les Anglois à signer les conditions de Paix qu’on voudroit leur imposer, que leur flotte apprennant en mer que la communication avec la Manche est coupée en seroient decouragés et qu’en cas d’action notre flotte pourroit poursuivre celle des ennemis sans courrir aucun risque dans la Manche. J’ai aussi observé à Mr de Sartine qu’on courroit le plus grand danger a risquer aucun espece de debarquement tant que la flotto ennemie sera dans la Manche et qu’il peut resulter le plus grand malheur si Mr. du chaffeau surtout y entre pour la combattre. J’observe encore à ce ministre que si les puissances neutres s’opposent a ce que nous dessendions en Angleterre on peut faire rouler sur vous l’operation de la division que je propose de faire glisser dans la Manche s’il y a lieu, personne ne pouvant assurement vous disputer le droit de represailles. Mr. de Sartine m’a fait faire beaucoup de remercimens par Mr. de La Croix secretaire de la Marine et voila tout. Je vous prie de faisser passer la notte cy jointe à Mr. Williams.