The Presentation of the American Commissioners at Versailles: Account (II)
Reprinted from the vicomte de Grouchy and Paul Cottin, eds., Journal inédit du duc de Croÿ, 1718-1784... (4 vols., Paris, [1906-7]), IV, 78-80, 84.

Le vendredi 20 mars, eut lieu, en effet, l’étonnante présentation et la liaison ouverte de la France avec l’Amérique.

Au lever, je trouvai, à l’Oeil-de-Boeuf, le fameux Franklin, avec les deux autres députés d’Amérique, entourés de bien du monde frappé de cet important spectacle. La figure pittoresque du beau vieillard, avec ses besicles et sa tête chauve, son air de patriarche et fondateur de la Nation, jointe à sa célébrité comme inventeur de l’électricité, législateur des treize provinces unies, et sa science, ajoutaient encore à la beauté du tableau.

A midi, la Chambre entrant, M. de Vergennes à la tête, on fit entrer les députés de l’Amérique. Le Roi, en sortant du prie-Dieu et dans la même chambre, s’arrêta et se plaça noblement. M. de Vergennes présenta M. Franklin, M. Deane et M. Lee, et deux autres Américains. Le Roi parla le premier et avec plus de soin et de meilleure grâce que je ne l’eusse encore entendu. Il dit: “Assurez bien le Congrès de mon amitié. J’espère que ceci sera pour le bien des deux nations!”

M. Franklin, très noblement, remercia au nom de l’Amérique, et dit: “Votre Majesté peut compter sur la reconnaissance du Congrès et sur sa fidélité dans les engagements qu’il prend!” Puis M. de Vergennes ajouta: “Il est certain, Sire, qu’on ne peut avoir une conduite plus sage, plus réservée que celle qu’ont tenue ces Messieurs, ici!” Ensuite le premier commis des Affaires Etrangères les ramena chez M. de Vergennes.

Les voilà donc traités de nation à nation, et le Congrès bien reconnu, ainsi que l’indépendance, par la France la première. Que de réflexions ce grand événement ne présentait-il pas! D’abord, c’était un coup cruel porté à l’Angleterre, et fort heureux pour notre commerce, s’il réussissait. C’était, ensuite, une guerre implacable et, peut-être, la création d’un pays plus vaste que le nôtre et qui pourrait, un jour, subjuguer l’Europe...

Trouvant Franklin dans l’Oeil-de-Boeuf, et le connaissant, j’allai à lui et je lui dis: “Il n’appartenait qu’à celui qui a trouvé l’électricité d’électriser les deux bouts du monde!” Ce mot fut remarqué et fit fortune, mais on n’en sentait pas tout le sens, car je disais “électrisé” et non “enflammé”. En effet, ce pouvait n’être qu’une étincelle brillante et de peu d’effet, et je pensais, avec bien d’autres, qu’un coup si extraordinaire a grand besoin d’être appuyé du succès....

Après avoir bien vu cette importante et étonnante présentation, j’allai aux bureaux de la Guerre où je vis bien du mouvement et où j’appris bien des choses, et, ensuite, j’allai dîner chez M. de Vergennes, avec l’Amérique.

M. Franklin et les deux autres députés et leurs compagnons y étaient. M. de Vergennes leur donna un grand et splendide dîner de cérémonie, comme à des ambassadeurs accrédités. Franklin était à côté de lui, les autres placés avec soin. On les traita sans affectation, pourtant, avec les plus grands égards, et ce dîner fut bien curieux....

Le dimanche 22, au milieu d’un monde immense, les trois députés des Provinces unies d’Amérique furent présentés à la Reine et la famille royale par le premier secrétaire des Affaires Etrangères.

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