Paul Bentalou to — Bessière (unpublished)
Montauban Le 4e avril 1780

J’ai debarqué à L’Orient Mon cher et digne amy le 3e mars Dernier, et me mis en route, pour cette ville que je deteste, mais que je desirois de voir, pur embrasser mes Amis; Ce n’est pas sans beaucoup de peine que je t’ai trouvé absent; et serai vraisemblablement obligé, de me rembarquer sans jouir du bonheur que je ne Pourrai Esperer de longtems, c’est a dire le plaisir de te voir.

Si J’avois eu cent louis a pouvoir disposer tu aurois été fort surprie de me trouver a Versailles ou a Paris. Le principal but de mon voyage, auroit été de joindre un parfait aventurier, Le fils de Mr. Prat de figeac, qui en Amerique avoit pris les titres de Comte de Monfort, et qui se conduisit ensuite comme un Crochetteur, ce qui l’obligea d’abandonner ce même Role; il en a imposé icy à son propre pere, et a quantité d’autres Personnes; mais tout cela me seroit fort égal s’il n’avoit eu l’adresse d’attrapper a mes Parens, Des Lettres par lesquelles ils lui demandent sa protection pour moi: tu connois assez bien ma façon de penser mon Cher pour être persuadé que je ne souffrirai pas qu’un Pareil imposteur ait en main des effets qui pourroient me faire le plus grand tort; surtout la lettre que lui ecrit mon pere, par laquelle il s’humilie d’une maniere à me faire rougir à un homme qui m’a les plus grandes obligations, et qui me doit en quelque façon son existance; Il seroit trop long de te faire son histoire, je lui ecris aujourd’huy et pour te mettre plus au fait je t’envoye inclus Copie de ma Lettre; je serois faché que tu t’expose a avoir une affaire, mon bon Ami, quoique dans tous les cas je suis persuadé que le sujet n’est pas fort dangereux, mais s’il t’étoit possible de retirer toi même ces mêmes Lettres, ou les voir inserer dans une des siennes qu’il faudroit aussi voir jetter à la poste, tu me rendrois un grand service, car je te le repette encore mon Cher sans me gener je n’ai pas des fonds à pouvoir faire ce voyage de Paris.

Le principal Sujet de mon voyage en france a été pour me retablir des blessures que j’ai reçues à notre malheureuse affaire de Savannah qui vont le mieux du monde. Je compte partir Lundy prochain pour me rendre a Bordeaux, et m’embarquer le plus promptement possible pour aller me ranger sous mes drapeaux en Amerique, au nom de l’amitié qui nous lie dès notre plus tendre enfance ne manque pas de me faire sçavoir de tes nouvelles a Bordeaux le plus promptement possible. Si j’etois obligé de partir avant cela quels reproches n’aurois tu pas à te faire, des chagrins que tu causerois a celui qui ne cessera de t’aimer plus que sa propre vie

(signé) Bentalon

p.s. Rien de nouveau icy tous tes parens et les miens se portent fort bien. Mon adresse est chez Mr. Cre. Changeur Negt. rue Rousselle pour remettre a Mr. Bentalon Capitaine de Dragons de la legion du Comte Pulowski au service des etats unis de l’amerique. A M. f. Bessiere a Versailles
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