Un de mes freres desirant s’etablir dans les Etats unis D’amerique, eut l’honneur de s’adresser a vous pour vous offrir ses services et vous demander votre protection. Ce fut dans les premiers jours du mois de janvier 1784 qu’il se presentat chez vous pour la premiere fois. Mon frere est un jeune homme de 17 ans, brun, taille moyenne: je le designe ainsi afin de le rapeller a Votre memoire; il s’appelle Lucas Des peintreaux, il est de Ponteaudemer petite ville de normandie. Vous eûte la bonté, Monseigneur, de recevoir mon frere avec toutes les marques de bienveillance possibles, vous lui donnâtes touts les eclaircissements nécessaires au nouvel Etablissement qu’il projettoit, et ajoutaste a tout cela la promesse de lui donner a son depart pour l’Amérique des lettres de recommandation afin qu’il pût trouver dans votre République touts les secours et toutes les facilités dont il auroit besoin. Les heureux hospices sous lesquels les amis et les parents de mon frere virent commencer son entreprise les consola un peu du déplaisir que leur causoit son départ.

Apres d’être asseuré de votre protection, Monseigneur, mon frere revint a ponteaudemer disposer toutes choses pour son départ, mais la crainte de laiser passer la saison favorable pour s’embarquer lui fit précipiter ses affaires, et lorsque par la vente d’une partie de son bien il eût ramassé environ 10000 l.t. qu’il crut suffisants pour commencer un etablissement, il songeat a son départ et laisa a un de ses parents qu’il chargeat de sa procuration, le soin d’achever la vente de son bien et de terminer ses affaires.

Ce fut le 14 mars 1784 que mon frere partit d’ici pour n’y plus revenir. Il se rendit a paris pour terminer quelques affaires avant son départ de france, et en particulier pour prendre congé de Vous Monseigneur, et apres y avoir fait quelque sejour et recu vos ordres, il en partit pour se rendre a Londres ou il a du s’ambarquer pour philadelphie du 15 au 20 de may suivant une Lettre qu’il écrivit dans ce mesme temps a sa famille et par laquelle il mandait que le vaiseau qui le portoit n’attendoit que le vent pour mettre a la voile.

Depuis cette lettre, ni moy ni aucune personne de ses parents ou de ses amis n’en avons recu de nouvelles, ce qui me cause beaucoup d’inquietude, et avec raison, car il devoit ecrire aussitot qu’il seroit arrivé pour apprendre le succès de sa navigation, et donner les ordres nécessaires pour lui faire parvenir l’argent et les effets quil a laisés ici. Je ne scavois comment m’asseurer de la destinee de mon frere, et lever les inquiétudes que j’ay sur son sort, lorsque j’ay pensé a m’adresser a Vous, Monseigneur, persuadé que Vous aurés reçu des réponses aux lettres dont Vous l’aviés chargé, et que par la vous aurés sçu au moins s’il est arrivé a philadelphie. Les bontés que vous avés eu pour lui me font croire que vous ne refuserés pas de me tirer d’inquiétude sur son sujet, ainsi que toute sa famille. Si vous daignés m’honorer d’une réponse, Monseigneur, et qu’elle m’aprenne l’heureuse arrivée de mon frere a philadelphie vous mettres la tranquillité dans l’esprit de touts ses amis, mais ce seroit mettre le comble a vos bontés, si vous vouliés bien m’indiquer de quelle maniere je pourrois lui faire parvenir une lettre, et a qui je pourrois l’adresser pour quelle lui fut remise, car je ne scais quel lieu positivement il habite, et je ne connois personne a philadelphie a qui je puisse m’adresser. Je vous prie Monseigneur de pardonner la liberté que j’ose prendre avec Vous, a l’inquietude que me cause l’incertitude ou je suis sur le sort de mon frere. La bienveillance que vous lui avés témoigne me répond de votre indulgence, et ce [sera] mesme une nouvelle preuve de la protection que vous lui accordes que de me mettre a portée de lui faire scavoir que les lettres qu’il doit avoir ecrites s’il est arrivé a l’amerique ne nous sont point parvenues.

J’ay l’honneur d’être avec le plus profond Respect Monseigneur Votre tres humble et tres obéissant serviteur