From Jean-Baptiste Le Roy (unpublished)
De Paris aux Galeries du louvre ce 26 Juillet 1786

J’ai recu Mon Illustre Docteur avec le plus grand plaisir les deux dernieres lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’ecrire mais je n’ai point reçu la premiere. Je ne puis vous dire la joie que j’ai eue en apprenant que votre Santé se soutenoit très bien et qu’elle étoit même meilleure la bas qu’elle n’étoit ici. Cela me paroit bien prouver qu’en général plus le corps est dans un état sain moins les causes particulieres qui peuvent nous causer des douleurs ont d’effet, ce qui confirme pleinement ce que le célèbre Hoffmann a dit à ce sujet. M. De Buffon qui avoit des douleurs semblable aux votres même plus fortes se trouvent mieux chez lui à Montbard.

Vous ne perdez jamais votre tems Mon Illustre Docteur c’est une chose vraiment admirable que de vous voir traverser les mers à votre age et dans le cas d’éprouver des douleurs facheuses et cependant conserver toujours si bien le calme de votre esprit et de votre tête que cela ne vous empêche pas de vous appliquer aux objets qui peuvent vous Intéresser. Je serai enchanté de voir vos mémoires sur vos differrens poeles que vous m’annoncez et vos recherches sur la marine. Mon frere à qui j’ai communiqué votre lettre a été on ne peut plus flatté en voyant que vous ne l’aviez pas oublié et que vous avez bien voulu lui adresser vos recherches sur la marine. Il a du je crois vous le marquer.

Depuis votre départ il y a eu plusieurs experiences de ballons comme vous l’aurez pu apprendre par les nouvelles publiques vous avez sçu, sans doute, la funeste catastrophe de l’infortuné Pilatre de Rozier avant votre depart. Blanchard fait toujours des ascensions perilleuses car il l’a echappé belle à la fin de l’année derniere mais il [vient           pour le progrès de l’art. Cependant il paroit bien constant qu’il a tellement perfectionné Le parachute qu’il peut en toute sureté laisser tomber des animaux d’une très grande hauteur sans qu’il leur arrive le moindre mal mais il ne nous a rien donné sur la construction de ces parachutes par rapport à leur surface ou à leur disposition qui puisse nous mettre bien au fait et dans le cas d’en faire de semblables. Dernierement un très jeune homme nommé Têtu a fait une expérience de ballon où il a resté onze heures en l’air s’etant elevé [à] cinq heures passées de l’après midy et n’étant redescendu que le lendemain à quatre heures du matin. Comme le vent n’etoit pas considerable il n’a pas fait beaucoup de chemin mais il nous a assurré a l’académie comme il l’avoit déja publié qu’il s’est trouvé vers les onze heures du soir au milieu des nuages où il a essuyé une tempête considérable avec des tonnerres violens. Il nous a répété plusieurs fois qu’il voyoit incessamment les eclairs briller autour de lui et qu’il entendoit le tonnerre eclater au dessous. Enfin il nous a montré un petit Drapeau où il y avoit un trou qu’il nous a assurré avoir été fait par la foudre il est vrai que les bords en avoient l’air noirci. Il a de plus ajouté que se croyant au milieu de nuages electriques il avoit présenté une pointe vers le bord de son char et qu’il y avoit vu tantôt un point lumineux et tantot une belle aigrette, Le premier Phénomène s’observoit quand il etoit dans un nuage pluvieux et le second lorsqu’il remontoit au dessus dans un nuage neigeux. Il nous a protesté avoir vu ce Phenomene plusieurs fois, son ballon etant porté disoit-il par une Sorte de Tourbillon des nuages inférieurs aux nuages superieurs et ramené de ceux cy aux autres il doit recommencer une seconde experience. Son Thermometre descendit a 5º au dessous de la Glace. gens?

Les [Mess?] de Javelle dont vous avez vu les manoeuvres de vos fenetres tant de fois ont fait des expériences multiples l’automne dernier, ou en 1785, par lesquelles il paroit bien constant qu’ils peuvent monter et descendre à volonté au moyen de leurs rames sans jetter de leste et sans perdre d’air inflammable ce qui confirme ce que j’ai toujours pensé contre M. Meusnier qu’il suffit de se procurer un equilibre précaire dans l’air pour pouvoir faire toutes les manoeuvres que l’on veut monter et descendre &c. et que c’est à celui qui est dans le ballon à se procurer le degré d’élevation qu’il desire. Ce qu’il y a de certain [c’est] que Mde. Le Roy et Mes Dames De Montalembert ont été l’automne dernier à Ballon perdu depuis Javelle jusqu’à Issy à une hauteur de près de 400 [pieds] d’où elles sont revenuës le tems etant calme et descenduës sans aucune diffi[culté.] Quant à l’Académie elle n’a fait encore d’autres experiences que d’avoir fait faire un ballon de 9 pieds de Diamètre pour voir si son enveloppe tenoit bien l’air comme vous l’avez [dit] dans le tems et il est resté presque un an tout entier au milieu de l’Académie sans avoir perdu tout à fait son air inflammable de manière à tomber. Il paroit que cette partie de la fabrique des ballons est com[prise?] parfaitement et qu’il n’y a plus la moindre difficulté pour leur faire con[server] leur air inflammable. M. Meusnier a fait un gros travail ou un traité complet sur la construction des [ballons?] qui est vraiment précieux et où il s’est donné beaucoup de peine et a fait pour cela des expériences fort curieuses sur la resistance des différrentes étoffes et il a resolu plusieurs problèmes intéressans sur la forme que ces ballons doivent avoir pour éprouver le moins de rés[istance] et en même tems conserver assez de capacité. Il donne dans cet ouvrage la description et les dimensions d’un très grand ballon propre à porter 24 personnes où il insiste sur toutes les choses auxquelles on doit avoir attention dans la construction des ballons. Mais emporté par sa facilité il me paroit ne s’être pas assez appliqué à l’objet effectuel je veux dire à la manière de le diriger ou de lui donner du mouvement car ses moyens sont très imparfaits, au moins à mon sentiment, et absolument incapables de produire aucun effet considérable. Je voudrois pouvoir vous décrire ici d’une maniere claire la disposition et le Jeu de ses rames mais pour y parvenir il faudroit un volume encore sans figures ni pourrois je esperer d’y réussir. Il me paroit que jusques ici on n’a pas été sur la voye pour tenter quelque chose qui puisse avoir du succès. Cependant je ne sais si je me flatte mais je crois avoir imaginé une forme de ballon et une construction de rames propres à produire des effets tout differrens et bien supérieurs à ceux qu’on a obtenus jusqu’ici sur lesquels je compte bien mon Illustre Docteur avoir l’honneur de vous consulter vous qui savez si bien saisir le point de difficulté des choses et demeler les moyens simples de le faire disparoître mais dont je remets à vous entretenir une autre fois cette lettre etant déja si longue.

Les Paratonnerres font des merveilles. La Salle de la Comédie de Brest sur laquelle j’en ai fait établir a été visiblement preservée d’un violent coup de tonnerre qui est tombé sur cette salle dans la nuit du 15 au 16 du mois de Juin dernier. La pointe a été faussée et on a vu des traces très marquées de la foudre sur cette pointe. De même le 14 du même [mois] l’église de St. Philibert de dijon a été preservée des [suites?] d’un coup de tonnerre furieux qui éclata au dessus [au] moyen de son paratonnerre car quoiqu’on ait vu l’eclair se diriger sur sa pointe avec une grande rapidité cependant ayant visité l’eglise ensuite de toutes parts on n’y trouva pas la m[oindre] marque que le tonnerre ait fait du dégat nulle part. Cependant on a observé quelque chose de singulier c’est que des gens qui étoient dans l’Eglise assurrent y avoir vu beaucoup de feux (?) à l’instant de ce coup de Tonnerre et que ces gens ont ressenti ou éprouvé comme une espece de coup de fouët dans les jambes ce qu’a éprouvé pareillement un sonneur qui etoit [dans] le clocher. Je laisse a votre sagacité ordinaire à expl[iquer] comment cela est arrivé.

Je ne sais si vous savez que les anglois vont faire mon[ter] les objectifs de M. Huyghens dont le foyer est de   deux cent pieds. Ils veulent en faire faire des Télescopes aëriens pour en comparer les effets avec les Telescopes de reflexion de M. Hirschel.

Nos chymistes sont toujours fort occupés de la décomposition de l’eau, mais il doit résulter de cette décomposition si elle a lieu dans les combinaisons de la nature comme il est difficile d’en douter des produits variés qu’il faudra beaucoup de tems et de sagacité pour parvenir à les bien demêler et à les bien reconnoitre.

Les machines à feu se multiplient ici on va en etablir une du côté des Invalides, au gros Caillou. On a posé avant hier la première pierre du bâtiment où elle doit être établie. Cela s’est fait avec beaucoup d’appareil. Le Prevot des marchands qui a posé cette premiere pierre y etoit avec tout le bureau de la ville.

Adieu Mon Illustre Docteur. Je me trouve obligé de vous quitter dans la crainte que ma lettre ne parte pas. Recevez les assurrances sincères de tous les sentimens d’attachement que je vous ai voués pour la vie et des voeux que je fais pour votre conservation.

Le Roy

p.s. Je vous ai dit mon Illustre Docteur que de toutes les lettres que vous m’avez fait lhonneur de m’ecrire je n’en ai reçu que deux et je ne concois pas que vous n’en ayez pas recu de moi vous ayant ecrit trois fois depuis votre départ et toutes les fois ayant envoyé mes lettres directement à M. Thevenard commandant de la marine à L’orient. Je vous envoye celle cy par M. Grand. J’ai pour vous un volume de mémoires de notre academie pour 1783 et un volume de Fables que je compte remettre à Mons[ ]. Mad. Le Roy a voulu vous écrire un petit mot. Mon frère me charge mon Illustre Docteur de vous dire mille choses pour lui. Je joins ici une lettre que je vous prie de faire parvenir à Mad. De Beniowsky. On a dit ici son mari massacré à Madagascar mais il paroit heureusement que cette triste nouvelle ne s’est pas confirmée. Mille sinceres complimens Je vous prie Mon Illustre Docteur à Messieurs vos petits fils.
Endorsed: M. Le Roy Rec.d Oct 15.
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