From — Garde de Matigny (unpublished)
Chauny ce 12 aoust 1779.
Monsieur,

Je scay que vous estes l’amy des hommes, et c’est a ce titre que j’oze m’addresser a vous directement et reclamer vostre protection pour faire passer par le moyen de vostre Correspondance, la cy incluse a mon fils unique, qui est actuellement a Boston.

Il y a deux ans et demy que ce cher enfant qui pour lors servoit en france dans le corps royal Du genie, est party pour l’amerique avec Mr. Du Coudray son amy et le mien; comme mon fils parloit bien la langue angloise, qu’il l’escrivoit de même, et que d’ailleurs il s’estoit particulierement appliqué a l’etude des mathematiques sous mr. L’abbé le Bossût son maistre, mr. Du Coudray le fit son ayde de camp, aussitost qu’ils eurent joints l’armée du general Waginsthon, et il a esté employé en cette qualité, jusqu’au moment de l’accident funeste qui a fait perir mr. Du Coudray dans la Schuitille près de Philadelphie.

Mon fils alors privé de son mentor et de son protecteur a pris le party de se retirer a Boston avec le neveu de mr. de gribauval et le fils de mr. de Loyauté ses camarades et ses compagnons de voyage; il n’est point comme eux repassé en france, et il est encore a Boston d’oû il me mande par sa derniere lettre du dix huit juin et que je viens de recevoir, que depuis son depart de france il ne luy est parvenu aucune De mes nouvelles; cependant je luy ay escrit au moins quarante lettres en differents temps que j’ay envoyé pour les luy faire passer, a des negotiants de ma ~y2 connoissance a Bordeaux, a la Rochelle, a Nantes, a Brest, a St. malo, au havre, et a Dunquerque; il y a apparence que les vaisseaux sur lesquelles mes lettres ont este mises, ne sont point arrivés a bon port, ou que ceux qui se seront chargés de les remettre a leur addresse, ne l’auront pas fait; dans ces circonstances touts ceux de mes amis qui ont l’honneur de vous connoistre, et qui scavent combien vous estes porté a obliger, m’ont conseillé d’implorer directement votre assistance et vos bontés, et ils m’ont assuré que vous ne trouveriez pas mauvais que je vous prie de faire passer mes lettres pour mon fils a Boston par la même voye dont vous vous servez pour envoyer les vostres; ils ont même esté plus loin ils m’ont donné a entendre que si mon fils estoit dans le cas d’avoir besoin de quelques secours pecuniaires, vous ne refuseriez pas de luy faire compter a Boston les sommes que je vous ferois remettre d’avance a Paris; je vous auray touttes les obligations du monde de me faire scavoir si je puis compter sur cette voye pour establir une correspondance entre mon fils et moy, et le tranquilizer enfin sur les inquietudes qui le tourmentent; c’est un pere qui aime son fils plus que luy même, qui se jette a vos genoux pour vous supplier de luy rendre ce service important, en faut-il d’avantage pour vous determiner, ce seul mot fils plus capable d’excitter votre sensibilité que les recommandations des plus grands Seigneurs; cependant s’il estoit necessaire, j’interesserois auprés de vous mr. Le M[aréch]al prince De Soubize, mr. Le Comte D’egmont, mr. Le Chevallier de Coigny, mr. Le Comte de Briênne, et messieurs Les marquis et Comte ~y3 de Genlis qui dans touts les tems m’ont honoré ainsy que mon fils de leurs bontés et de leur protection; mais vis avis d’un philosophe de vostre trempe, je scay qu’il ne faut qu’estre homme raisonable pour avoir accéz auprés de vous; et en estre favorablement accueilly.

Je suis avec le plus profond respect, Monsieur, Vostre trés humble et obeissant serviteur

Garde De Matigny
Lieutenant general au baillage royal de Chauny
en picardie
J’ay mis la lettre de mon fils sous cachet volant pour vous convaincre, monsieur, que vous pouvez la faire passer en toutte assurance, et qu’elle ne contient rien qui puisse vous compromettre.
Endorsed: Garde de Martigny [sic] 12. Aout 1779.
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