John Schaffer to Vergennes (unpublished)

Copie d’une Lettre de Mr. J. Schaffer a Mr. le Comte de Vergennes, datée de Paris à la Conciergerie ce 28. Xbre. 1783

Monsieur le Comte,

Je suis étranger, je suis américain, cette double qualité me donne quelques droits à votre puissante Protection; J’ose avec Confiance la reclamer du fond de la Conciergerie du Palais où je suis detenu sans trop savoir pourquoi. Abandonné en quelque sorte par le Plenipotentiaire et le Consul General des Etats Unis de l’amerique Septentrionale ma Patrie, Je me vois à la veille de subir au Palais un Jugement qui sans doute ne peut etre que redoutable, puisqu’il ne doit être rendu que d’après une Sentence du Chatelet infamante.

Ignorant le vrai mécanisme de la Langue Françoise, j’ai subi plusieurs interrogatoires au Chatelet sans interprete, ce qui me paroit être contraire au droit des Gens; consequement je n’ai pu me deffendre d’une maniere legale.

Né d’un Pere honnête et riche, étant riche moi même puisque je suis Proprietaire de trois maisons dans la Ville de Philadelphie, sans comprendre un bien de Campagne très considerable, ayant toujours vécû honorablement et consideré, j’ai eu dans l’état militaire deux grades differents 1º celui de Capitaine dans les troupes reglées; 2º celui de Lieutenant Colonel de la Milice du Continent; je ne suis abordé sur les côtes de France qu’avec un vaisseau de 80 hommes d’Equipage. L’un de mes freres est membre du Congrès, et cependant me voila à deux mille lieues de Mon foyer, sans secours et sans appui, detenu Prisonier, reduit au pain du Roi à la Conciergerie. Eh, que me reproche t’on? au vrai, je l’ignore, puisque je ne sais la Langue Françoise qu’imparfaitement. Cependant s’il faut en croire le Bruit

Chaque Jour depuis quatre mois et demi je m’attendois a voir finir ma Captivité. J’ai écrit differentes fois et fait parler au Ministre des Etats Unis; mais des motifs qu’il ne m’est pas permis de devoiler ont rendu mes tentatives sans succès. Je m’attens donc à voir chaque Jour renouveller une Instruction imparfaite, puisque je n’ai point été entendu dans ma langue maternelle, et j’ai le plus grand Intérêt de donner à ma Justiffication le Development des moyens que me donnent legitimement la protection des Loix et la Nature.

Mais, pour faire valoir ces droits, ces moyens, il me faut un Deffenseur et pour l’obtenir il est un prealable sans lequel je ne puis rien. Je suis riche et cependant toute ma fortune dans ce moment est sans pouvoir. Dans cette position cruelle, Monsieur le Comte, il ne me reste plus qu’une seule Ressource, c’est de m’adresser à vous pour vous supplier de me faire rendre une traite de Soixante Dollars signée Franklin qui a été saisie et deposée avec tous mes Papiers au Greffe Criminel du Chatelet.

Cet effet actif rendu me facilitera la Levée de certaine actes chez un Notaire de Paris, dont l’Exhibition est indispensable, pour prouver ma Solvabilité et consequemment mon Innocence. J’attens de votre humanité cet acte de Justice.

Mais, Monsieur le Comte, vous allez m’objecter que toute Presomption est contre moi, puisque je parois abandonné par mon protecteur naturel. A cela je vous repondrai qu’aux yeux d’un homme ordinaire, tout à la Verité depose contre moi; mais à vos yeux, Monsieur le Comte, vous qui connoissez mieux que personne le Coeur humain, vous qui savez que les plus grands Evenements ne doivent le plus souvent leur Principe qu’a de petites Causes; vous ne serez point étonné du peu de Succès de mes tentatives auprès du Plénipotentiaire et du Consul des Etats. D’ailleurs si vous l’exigez je vous expliquerai le motif d’un refus si dur.   Complimentary close.

640657 = 041-u063.html