AL and copy: National Archives; letterbook draft: Algemeen Rijksarchief,
the Hague.
J’ai reçu le 6e de ce mois à La Haie, des mains de Mr. Tho.
Storey, les dépêches dont vous l’aviez chargé pour moi en date du
9e Xbr. 1775.
Je suis touché, pénétré jusqu’au fond du coeur, de l’honneur
que me fait et de la confiance que me témoigne le Committé
nommé par le Congrès général pour la Correspondence des Provinces
unies Américaines avec l’Europe, dont vous êtes, Monsieur,
l’un des dignes membres. Je mourrai content si ce qui me reste de
vie peut être utile à une cause si belle et si juste; et je trouve plus
noble et plus glorieux de partager, en la servant dans le secret et
dans le silence, ses craintes et ses espérances, que d’être le Ministre
titré de la Puissance qui veut vous la faire perdre. J’accepte donc
avec joie, Messieurs, la commission dont vous me chargez, et
toutes celles que vous jugerez à propos de me donner à l’avenir, et
vous promets une bonne volonté, un zele à toute épreuve: puisse
seulement ma capacité justifier de son côté l’idée favorable que
vous avez prise de moi. Cette promesse de ma part est un vrai
serment de fidelité que je prête entre vos mains au Congrès de
mon propre mouvement; recevez-le, Messieurs, comme tel.
Après cette déclaration, et ces protestations faites une fois pour
toutes, je commence, Messieurs, par observer, qu’il est absolument
nécessaire que nous établissions un chiffre entre nous, afin
que si quelques-unes de nos Lettres sont interceptées dans le trajet,
nos secrets n’en restent pas moins cachés. Je vous épargnerois
volontiers la peine de faire ce chiffre, en vous envoyant copie de
celui que j’ai déjà dressé à cet effet pour mon usage: mais si cette
Lettre ici par malheur ne vous parvenoit pas, et cette copie et mon
original seroient inutiles; il faudroit en faire un autre, et je ne
pourrois pas m’en servir dès à présent. Les paroles sur lesquelles je
l’ai composé sont dans le Livre que je vous ai envoyé dernierement,
dont je suit l’éditeur, et au-devant duquel j’ai écrit sur un feuillet
blanc mon idée sur le Gouvernement et la Royaute, dont vous me
marquez qu’elle n’a pas déplu. Je vous le désigne assez, je pense.
Vous trouverez ces paroles dans ma Lettre à Mr. *** qui suit
immédiatement le titre page III, IV et V. savoir
Tout a son nombre là-dedans, même les’ ou apostrophes, les-ou
traits d’union, les virgules, les points, les & et les renvois ou (*).
Pour vous rendre cette opération plus facile, j’ai fait imprimer
une série de passé 1000 nombres, dont voici quelques feuilles. Il
n’y a qu’à prendre une de ces feuilles, et écrire le long des colonnes,
depuis 1 jusqu’à 682, (qui est un point) les lettres ou caracteres
des 13 lignes indiquées, chaque caractere à côté de son nombre, et
comme vous aurez besoin en m’écrivant de k et de w, dont on ne
se sert pas en françois, il n’y a qu’à en mettre 5 ou 6 de chacun à
côté d’autant de nombres qui suivent le 682e; ou, ce qui vaudra
encore mieux, faire servir les c du chiffre, indifférenmment pour
des c ou pour des k, et les v pour des v ou pour des w. Cela ne
m’embarrassera point en déchiffrant. Pour prévenir tout mal-entendu,
vous trouverez ci-joint un modele de chiffre sur d’autres
paroles, qui vous servira d’exemple pour la méthode de construire
celui dont nous nous servirons, et dont je vous ai indiqué les
paroles ci-dessus. Vous pourrez cependant garder ce modele pour
des cas imprévus, par exemple si l’autre chiffre etoit découvert. En
attendant nous l’appellerons le petit chiffre, pour le distinguer du
grand. J’en garde aussi copie ici.
Pour commencer, je vous dirai, Messieurs, en me servant du
grand chiffre des 13 lignes, que quand je vous ai dit dans ma
deniere lettre que toute l’Europe vous souhaite le plus heureux succès
pour le maintien de vos libertés, j’entendois le public Européen impartial,
équitable, humain, en un mot les citoyens de la Société
universelle, les hommes en général; et qu’il faut excepter de ce
nombre les Rentiers intéressés dans les fonds publics [anglois et
celles des cours europeennes qui s’entendent avec la cour
d’Angleterre]. Loin de vous [secourir,] elles vous [sacrifieroient] à
leurs [interets] ou à leur [peur. Des alliés qui vous] conviennent
dans cette conjoncture [, c’est la france et l’espagne,] car leur interêt
est que vous [soyiez libres et independants de l’angleterre]
dont [l’enorme puissance maritime les] inquiete. Je me suis donc
[ouvert a un ministre de france] et la copie et traduction de [vos
demandes, et lettre de creance] à mon sujet, sont depuis quinze
jours au moins [entre les mains du ministère] et par conséquent
[du roi de france.] Dans la conversation [que j’ai eue avec ce ministre,]
j’ai bien pu [remarquer que] les [voeux] de sa [nation]
sont pour [vous. Il m’a] seulement [fait une difficulte] contre les
[secours qu’on pourroit] donner aux [colonies] c’est que, si [elles
se reconcilient] avec les Anglois, [elles se reuniront avec eux
contre] la puissance qui les [aura secourues] et imiteroient ainsi
[les chiens de la fable.] Je n’eus rien de bon à répliquer, sinon que
s’agissant ici d’êttres raisonnables, s’ils voyoient qu’on ne venoit
pas [pour leur ravir la liberte pour laquelle] ils se battoient, mais
plutôt [pour la leur assurer] ils ne seroient pas assez méchants pour
[se liguer contre leurs bienfaiteurs] avec ceux qui vouloient leur
[arracher cette liberté.] Enfin il a voulu savoir de moi positivement
ce que je demandois [a sa cour] pour [les colonies?] Je lui ai
répondu que vous desiriez de savoir Primo: si [le roi de france
voudroit] bien, [par humanité et magnanimité, interposer sa mediation
en faveur des peuples opprimes, et menager une reconciliation
qui leur conservat toutes leurs libertés dont ils jouissaient
auparavant]. Secundo, au cas qu’une telle [reconciliation ne puisse
avoir lieu,] si les [nations soumises à la maison de bourbon voudroient
accepter l’alliance des colonies avec le benefice d’un commerce
immense?] Il goûta beaucoup la premiere de ces propositions,
[d’offrir a son jeune roi la gloire de rendre la paix aux sujets
des autres comme aux siens?] L’autre proposition ne lui déplaisoit
pas non plus, sans [l’horrible guerre qui s’ensuivroit en europe.]
Je lui remis donc, avec l’Extrait de votre Lettre, un petit Mémoire,
où j’insinue combien il importe [a la france de ne pas laisser subjuguer
les colonies.] Le tout a été envoyé à [sa cour] il y a quinze
jours environ; et quand la réponse tarderoit, il n’y a point de mal:
en attendant j’ai toujours gagné que l’ouverture est faite, et qu’elle
ne peut que bien disposer [la france pour vous, et l’engager a
tolerer, a favoriser meme sous main les secours que vos vaisseaux
peuvent tirer de france, d’espagne et des iles.] Voilà pourquoi j’ai
copié exactement, dans l’Extrait, ce que vous me marquez avoir
[le plus besoin, comme ingenieurs, armes, munitions.]
Tout cela je l’ai exécuté avec le plus profond secret, comme vous
me l’enjoignez avec raison. La personne dont je viens de vous
parler l’a aussi exigé de ma part, et promis de la sienne. Ainsi
personne, en ce pay,s que lui et moi, n’en sait mot: et c’est aussi
le meilleur pour votre service et pour [ma surete, que je ne sois
point connu pour etre charge de vos affaires.]
Mr. Storey, en partant pour l’Angleterre, n’osant y porter deux
Lettres, l’une to Arthur Lee Esqr., l’autre to Mistr. Hannah Philippa
Lee, me les laissa en dépôt, et fit bien; car par deux Lettres
que j’ai reçues depuis de Mr. Arthur Lee, en date du 20e. et 23e.
Avril, j’apprends qu’on a pris à Mr. Storey, à sa descente en Angleterre,
une Lettre dont je l’avois chargé pour Mr. Lee. Heureusement
elle n’étoit pas signée de mon vrai nom, et la lettre même ne
pouvoit rien apprendre à vos adversaires; ainsi ils ont fait cette
vilainie de plus à pure perte. J’ai envoyé ces Lettres à un ami à
Rotterdam, selon les desirs de Mr. Arthur Lée; et cet ami me
marque en date du 3e. May d’avoir expédié le paquet par un
Capitaine de Sloep de ses anciens amis, et qui lui a promis de le
rendre en main propre, c’est-à-dire à l’adresse que j’y ai mise par
ordre de Mr. Lee. Le départ subit des Vaisseaux m’empêchera de
vous apprendre qu’elles ont été bien rendues. Ce sera donc par
quelque vaisseau suivant. J’ai joint au paquet un chiffre pour Mr.
A. L. dans le goût de ceux que je vous envoie, mais sur d’autres
paroles, afin que nous puissions nous communiquer nos secrets en
toute sûreté. Je l’ai averti aussi que j’aurois l’honneur de vous
écrire fréquemment, afin qu’il m’envoie ses lettres, s’il n’a pas de
meilleures voies.
Nos Gazettes nous apprennent qu’un Vaisseau Américain,
nommé le Dickenson, chargé de farine, bougies de spermaceti, cire
et douves, pour le compte de Messrs. Bayard Jackson & Compe.
de Philadelphie, et adressé à Messrs. Montandouin & freres
Marchds. à Nantes, Capitaine W. Meston, a éte conduit par ce
miserable et par son équipage, qui se disoit engagé par force, à
Bristol, pour gagner la prime proposée par le Parlement. L’ordre
écrit de Messrs. Bayard Jackson & Compe. à ce coquin de Cape.
est imprimé tout du long dans ces Gazettes. Ces malheureux ont
déclaré qu’il y avoit encore plusiers autres Vaisseaux en route
pour la France, tous destinés, comme le leur, à charger en retour
des armes et munitions de guerre.
Je sai un Ingénieur, âgé de 50. ans passés, très habile, très
expérimenté, très excellent non seulement dans le Génie mais dans
toutes les parties de l’art de la guerre, enfin trés grand Capitaine,
mais très mal récompensé. Je ne pourrai m’aboucher avec lui que
dans quelques semaines d’ici. Je lui proposerai le service des Colonies.
Mais comme il est veuf, peu à son aise, avec plusieurs
enfants, s’il accepte, il lui faudra vraisemblablement quelques
avances pour pouvoir se rendre chez vous. Je vous rendrai compte
en son temps de l’entretien que j’aurai eu avec lui.
Ce n’est qu’aujourd’hui que j’endosse à l’ordre de Mr. Rey,
Libraire à Amsterdam, votre Lettre de change de £100 St. De
bonnes raisons m’ont détourné de le faire plutôt, et sur toute autre
place qu’Amsterdam. Puisse l’emploi conscientieux que je ferai de
ce fonds justifier parfaitement vos vues et la confiance dont vous
m’honorez. Du reste je suis persuadé de la générosité du Congrès,
et je prie le Ciel de mériter par mes services d’en être l’objet un
jour, lorsque Dieu aura béni ses travaux pour le salut et la félicité
des Colonies, soit par une bonne et solide réconciliation, soit par
le succès de vos armes justes et pieuses: en attendant croyez, Messieurs,
qu’il n’est rien qui pût me consoler, si les choses ne tournoient
pas aussi favorablement pour vous que je le desire. Au fond
j’espere beaucoup plus que je ne crains à cet égard. La sagesse si
constamment soutenue du Congrès, l’union et la concorde parfaite
qui y regne, me rassurent de plus en plus. Par cette union rare,
heureuse, admirable, bien plus sûrement encore que par toutes les
alliances du monde, vous êtes et vous serez finalement supérieurs
à vos cruels et mercenaires ennemis, quelque redoutables qu’ils
paroissent et qu’ils puissent être. Concordia res parvae crescunt, discordia
maximae dilabuntur. Puissent cette grande vérité et le sublime
mot de Thémistocle à Eurybiade levant la canne sur lui dans
le Conseil, frappe, mais écoute, être constamment présents à vos
esprits et dans vos coeurs, ainsi que dans ceux de tous vos constituants!
Quelle force alors pourra tenir contre la vôtre? Pardonnez
la liberté de cette apostrophe à l’enthousiasme qui m’anime pour
votre Union, le plus bel édifice que la liberté se soit jamais élevé:
en lui se concentre tout ce que le spectacle du monde politique
peut encore avoir d’attraits pour moi.
Je vous remercie, Monsieur, de vos bontés paternelles pour les
deux francois. Ils sont jeunes; et par conséquent ils doivent
s’interdire jusqu’à l’idée d’être un instant à charge à personne, et
un poids inutile à la Société.
Je suis charmé que le Précis des différents entre la G.B. et les
Colonies ait été approuvé au point de le faire imprimer pour
l’instruction de vos amis les Canadiens. Voici la seule suite qu’ait
eu cet Ecrit, car l’Imprimeur ne débitant pas assez de son Journal
pour by faire d’autres fraix que ceux de l’Impression, a discontinué
de salarier l’Auteur de ces pieces. Je me suis fait donner son
adresse, pour lui proposer de m’aider à réfuter le Juif Pinto dont
la plume vénale s’est émancipée contre les Américains d’une maniere
insolente. Quelqu’un que vous savez, Monsieur, est faché de
s’être laissé éblouir par son systême de finance jusqu’à l’approuver
sans réserve dans une lettre ou avis à la tête du Traité de la circulation.
Car encore qu’il y ait du bon par-ci par-là, ce quelqu’un
est revenu depuis longtemps sur bien des faux-brillants que ce Juif
y débita pour bons, selon la coutume constante de sa nation de
tout temps.
Quant à l’idée sur le Gouvernement et la Royauté, je vois avec
joie qu’elle a plu, et que peut-être le temps viendra où l’on y fera
encore plus d’attention. Cette idée me rend heureux et glorieux,
plus que si j’avois fait l’Iliade: car je pense comme Phedre, nisi
utile est quod facimus, stulta est gloria. C’est un grain que j’ai cru
devoir semer dans votre terre, la seule du monde connu où il soit
possible de le faire germer. Au reste, je crois cette idée, de plus en
plus, vraie et practicable, et de tous les systêmes politiques le plus
à l’épreuve des objections. Elle n’a besoin que d’être développée.
Dieu veuille que nous puissions bientôt le faire en paix et à loisir.
Je vous prierai alors, Monsieur, avec l’estimable et savant Auteur
du Fermier de Pensylvanie, de correspondre avec moi sur cette matiere
pour la mettre en évidence, sinon pour les contemporains, au
moins pour la postérité.
Je vous remercie, Monsieur, du Journal des Actes du Congrès
du 10e. May jusqu’au ler. Aout 1775, que vous avez la bonté de
m’envoyer. Mais daignez, je vous en supplie, me completter cela,
en m’envoyant tout ce qui a précédé et suivi: car nous n’avons ici
rien d’authentique de votre part. Tout ce que nous savons de vous,
nous le tenons des gazettes, imparfaitement, par lambeaux, d’une
maniere vague et variable, le faux mêle parmi le vrai.
Pour revenir au chiffre, lorsque vous aurez mis les 13 lignes
lettre par lettre (y compris les apostrophes, virgules, points &c.)
en colonne sur une des feuilles que voici (car c’est par-là qu’il faut
commencer) pour déchiffrer facilement et vite tout ce qui est
chiffré dans ma lettre, il n’y a qu’à avoir la feuille en main et écrire
sur chaque nombre de ma lettre le caractere que vous trouverez à
côté du même nombre sur la feuille. Je fais cette opération assez
rapidement seul et sans aide, quoique pour la premiere fois de ma
vie.
Vous comprenez, Monsieur, pourquoi je ne signe point mon
nom.
Quant aux Lettres que vous m’écrirez à l’avenir, ne mettez rien
autre dessus sinon ces trois mots pour Mr. Vryman; et là-dessus une
Enveloppe à l’adresse de Mr. M. M. Rey Libraire à Amsterdam, si
vous vous servez de la voie de St. Eustache; ou à l’adresse de Mr.
A. Stuckey Mercht. à Rotterdam, si vous m’écrivez en droiture de
Philadelphie, ou par la France. De cette maniere vos Lettres me
parviennent surement.
Utrecht 9e. May 1776
Dans ce moment, Monsieur, je reçois la lettre suivante sans signature:
“Vous serez peut-être tenté, Monsieur, de venir voir [la
foire de la haie] j’aurai l’honneur de vous y renouveller les sentimens
d’une sincere estime. [Je serai a vos ordres tous les jours a
midi, ou plutot,] si vous voulez bien m’écrire un mot de votre
logement, pour me faire savoir l’heure qui vous sera la plus commode.
Nous pourrons [philosopher quelques momens sur des objets
que nous avons deja traites. S’il me reste peu de choses a vous
dire,] ce sera avec une vérité et une candeur que je me flatte que
vous approuverez.”
Je ferai ce voyage Samedi pendant la nuit, pour revenir ici la
nuit du dimanche au Lundi; ne pouvant autrement. Quant à la
présente Lettre, je dois l’envoyer aujourdhui à Amsterdam, autrement
on me menace que les vaisseaux partiront sans elle. Ce sera
donc dans une autre Lettre, soit par le même Vaisseau, soit par un
autre, que je vous rendrai compte Messieurs de la conversation. Je
suis faché de devoir vous laisser en suspens sur une chose si
intéressante.
Recevez ici, Monsieur, pour tous les membres du Congrès en
général, et pour vous, Mr. Dickenson et Mr. Jay en particulier, les
assurances sinceres de mon profond respect.