Louis-Guillaume Le Veillard fils to William Temple Franklin (unpublished)
Bordeaux le 9 aout 1783

Je le vois bien a présent que vous étes mon ami, puisque lorsque je vous ecris des choses qui ne sont pas suivant la droiture du coeur vous ne les croyez pas de moi, si vous m’aviez pu croire une façon de penser conforme a ce que je vous ai mandé, tout étoit fini entre nous, mais des que vous avez touché le but, il est inutile que je me voile davantage et je vais vous deduire ici simplement tout ce que je pense. Je crois que vous faites une folie en cultivant les sentiments que vous avez pour cette demoiselle, je n’y vois aucune appareance de succès, vous ne pouvez, ny ne devez vous fixer en france, en le faisant vous manqueriez votre état; je conçois très fort que dans l’instant présent aveuglé par votre passion, cette consideration manquer son etat n’a peut etre pas a vos yeux tout le poids qu’elle doit avoir, l’état le plus heureux pour un amant est de posséder sa maitrésse, si la chaleur des p[remi]ers moment pouvoit durer éternelement, cette ivresse tiendroit lieu de bien des choses, mais il n’est pas de la nature humaine de pouvoir rester dans la même position pendant longtems quelque simple quelle soit, a plus forte raison quand elle est forces. Ces moments sont donc bien courts, les regrets viennent, mais supposons, ce que je ne sais pas, mais que je suis fort tenté de croire, que votre position vous métes dans le cas de n’avoir aucun regrét quelconque, vous vous marierez sans doute pour avoir des enfants; le premier devoir d’un pere est de leur procurer tout le bien etre qui dépend de lui, en manquant votre état, ne derogez vous pas au devoir le plus sacré, celui detre bon pere, avant même detre dans le cas de le devenir? Si lorsque j’aurai un bien etre suffisant j’ai le malheur de n’etre pas marié ou marié de n’avoir pas d’enfants, je me retire des affaires, mais si j’ai le bonheur d’en avoir je travaille jusqu’au dernier soupir, je dis le bonheur davoir des enfants, car je regarde comme un tres grand bonheur de pouvoir avoir et elever beaucoup d’enfants, chaque créature a qui on donne la vie est un etre de plus qui doit vous aimer sur la Terre, et on ne sauroit avoir trop de gens qui vous aime. A cette consideration de l’impossibilité de votre établissement en france, s’en joint une autre qui dabord vous paroitra puerile, qui me le paroit aussi, qui le paroit aux Trois quarts de L’Europe, et sur laquelle peu de gens passent cependant c’est la difference de religion. Quelque secondaire quelle scit vous ne vous faites pas d’idée du nombre de mariage qu’elle a empechée et qu’elle empeche tous les jours. Voila ce me semble deux objections que l’on puisse vous faire, je crains bien qu’elles ne l’emportent sur tous les rapports qu’il y a en votre faveur, en quelques grand nombre qu’ils soient, et ils le sont certainement. Je sais a n’en pas douter le cas particulier que toute la famille et les grands parents font de vous, ils ont bien raison, car on ne peut vous connoitre sans vous éstimer beaucoup et vous aimer. Mais malgré cela je crains bien qu’ils se refusent a vous donner leur fille; d’autant mieux que le pere nourri dans la peine et qui ne doit sa fortune qu’a son travail, pourra faire beaucoup plus de réfléctions que moi sur votre etablissement en france.

Ainsi mon ami soyez sage et homme, renonces a un projet qui ne peut que vous donner des désagrements, surmontez votre penchant, plus tard vous atiendrez, plus les convulsions seront violentes. Je ne le sais que trop bien, que la tache que je vous préscris est des plus cruelles, elle doit vous dechirer l’ame. Vous aimez et vous savez etre aimé. Grand Dieu! Pourquoi faut-il gouter ce bonheur, s’il doit empoisoner le reste de nos jours? Mais soyons justes, ne nous en prenons point a Dieu, tout ce qui vient de lui est sage, c’est une suite de l’inconvenient de la société dont la Loix est l’ouvrage des hommes. Il fit tout bien, mais nous avons perverti son ouvrage, le propre de notre éspéce est de denaturer tout et de s’éfforcer continuelement de changer le bien en mal. Vous vous recriez sans doute sur mon avis, vous me trouvez dur, cruel, insensible, vous doutez de mon amitié, si vous pouviez voir le fond, de [coeur?] Dieu le sait, que si un moment il me cedoit sa puissance ma premiere pensée seroit votre bonheur. Mais j’ai tord, je le sens, vous lisez dans mon ame, vous y voyez que loin de vous aimer moins, c’est l’amitié seule qui me dicte; vous pesez mes avis, la passion vous les fait rejeter, sans doute, mais vous ne pourez pas vous empecher un jour de m’en aimer davantage.

Je ne vous demande pas vos secrets, ils ne vous appartiennent pas a vous seul, dailleurs je suis persuadé que si vous pouviez me les communiquer, vous avez assez d’estime pour moi pour le faire sans peine; votre silence ne m’offensera jamais que lorsqu’il me privera d’une occasion de vous etre utile.

J’ai un reproche a vous faire vous savez l’interêt que je prends a votre cousin et vous ne me dites rien de ses affaires, on m’a dit qu’il payeroit tout et resteroit fort riche. Je le souhaite bien, pour Lui, et pour vous car l’interêt que vous et votre pere prennent a lui, a du vous causer bien du chagrin. Il est bien mal a vous de ne pas me participer vos peines.

Mille milions de remerciments de votre exactitude a remplir les commissions que j’ai pris la liberté de vous donner. Je vous trouve charmant et vous aime de toute mon ame, j’ai ecri a la famille de vous compter les 18 l.t. jattands mon habit avec bien de l’impatience, aussitôt son arrivée je le metrai et je me transporterai chez toutes les belles de ma connoissance, pour y faire admirer votre gout. Adieu car le courrier va partir, en voila dailleurs bien long et mon ton de docteur a du vous facher. Adieu donc je vous embrasse de tout mon coeur.

A propos j’oubliois de vous dire que vous avez laché dans votre Lettre quelque chose qui n’est pas tout a fait cathégorique sur mon’pere, vrai ou non je peux bien avoir a cet egard une opinion conforme a la votre, mais comme je suis obligé de me couper la gorge avec tous ceux qui m’en diront du mal, plus de ces incartades, je vous prie, car je serois faché de me couper ce qui me reste de mieux, avec ce que j’aime le plus au monde.

Addressed: A Monsieur / Monsieur Franklin Jr. / chez Monsieur le Docteur franklin envoyé des Provinces unies de Lamerique / à Passy pres Paris
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