From Erdmann Frédéric Senff (unpublished)
Durrenberg le 21 Decembre 1782.
Monsieur,

Si Votre Excellence trouve étrange, qu’un homme de l’intérieur de l’Allemagne, ose représenter à Elle des projets, qui tendent au bonheur et à la prospérité des Provinces Unies de l’Amérique, dont Votre Excellence conduit admirablement les affaires; agréez, Monsieur, Vous convaincre par-là, qu’au fond même de la Monarchie naissent des hommes, qui, se sentant nés à la liberté, sympathisent avec tous ceux, qui font leurs derniers efforts, pour defendre et soutenir ce droit naturel de l’humanité. Je suis du nombre de ceux, qui, lisant la gazette et les feuilles publiques, prennent la plus vive part aux articles, qui regardent les Etats de l’Amérique Septentrionale. Comme prèsque dès ma jeunesse j’ai été employé à des Salines, j’ai principalement appliqué toute mon attention aux avis et aux relations, qui avoient pour objet la production et l’appareil du sel. Comme j’ai donc plusieurs fois lû dans la gazette, que les Anglois avoient détruit plusieurs salines, dont ils avoient triomphé, comme d’un coup très sensible porté aux Etats Unis; qu’on a souvent assuré que dans cette contrée regne une grande disette de sel; qu’outre cela j’ai appris dans d’autres ouvrages et de certaines pièces de savans, qu’il y a dans ce vaste Empire un grand défaut du sel produit dans son propre sein, de sorte, qu’on a été obligé de suppléer à la nécessité en faisant venir cette production des Iles du Cap-Verd, et même, à tems de guerre, du royaume de Portugal; et que pour la pêche la plus étendue le long des côtes on doit transporter de l’Europe la quantité du sel nécessaire je m’en suis extrêmement étonné, ne pouvant supprimer en moi le souhait, d’être la personne, qui puisse contribuer à procurer ce don inestimable de la nature à ces grandes Provinces du Nouveau Monde. Je suis persuadé par la nature des pierres, qui se trouvent dans ces contrées-là, et par la qualité d’autres choses nécessaires qu’il sera possible,de trouver une telle quantité de cette denrée, qui suffit pour en fournir assez aux Etats Unis pour les besoins présens et pour ceux de l’avenir. J’ôse même garantir un débit considérable, qu’on en pourroit faire en des paîs étrangers. Pour moi je serois en état de donner à cette marchandise la pureté, l’aloi et le plus vil prix, qui seroit possible, de serte que toutes les autres nations se verroient surpassées au sujet de cette espèce de marchandise. Je ne doute pas même, qu’on ne puisse atteindre la bonté excellente et la durée des poissons et des viandes confites avec du sel d’Hollande, en tant que les bonnes qualités en dépendent de la bonté du sel. L’exacte connoissance, que Votre Excellence a du païs, jugera bien, si les feuilles publiques et d’autres avis des savans m’ont trompé, ou qu’au sujet du besoin de sel ils ont tracé avec justesse l’état de l’Amérique. La connoissance, que Votre Excellence a des besoins des hommes, du commerce et de l’Etat, étant si profonde, ce seroit une peine inutile, que de vouloir prouver au long, que des établissements de nouvelles productions de cette sorte seroient fort avantageuses aux Provinces Septentrionales de l’Amérique, et pour cela dignes d’être proposées au Gouvernement de l’Illustre Congrès. Que si par les mêmes raisons Votre Excellence trouve la présente digne de quelque attention, je prens la liberté, de L’assurer très-humblement que, si pour l’établissement des salines nécessaires il n’y avoit au commencement qu’un fond de cinq ou six mille Livres Sterlins, on en pourroit si bien commencer, que les prémiers revenus suffiroient pour fournir successivement aux frais de l’aggrandissement le plus considérable. Cependant je crois devoir au respèt, que j’ai pour Votre Excellence, de ne L’incommoder point par un détail de l’exécution de mon projet, jusqu’à ce que Votre Excellence m’en ait donné Elle-même la permission et les ordres. En voulant déguiser le désir, que j’ai, d’être celui à qui on confiât l’exécution du projet, que j’ai pris la liberté de proposer, je croirois offenser Votre Excellence, d’autant plus, qu’Elle s’en sera d’abord doutée Elle-même, et que cette retenue exciteroit peut-être contre moi le soupçon d’un coeur moins ouvert et peu sincère. Malgré tout cela je serois trop timide, pour supposer, avoir assez d’habileté pour pouvoir me charger avec succès d’une affaire de telle importance, si je ne connoissois les sentimens équitables et philosophiques de Votre Excellence, par lesquels je suis sûr, que quoique je sente ce que je sai et ce que je puis faire, Elle croit néanmoins que je sai aussi, combien il y a de ce qui me manque encore. Je suis persuadé, que Votre Excellence juge bien, que l’une et l’autre connoissance de soi-même est très-nécessaire, si les hommes doivent s’éloigner autant de l’orgueil que de la bassesse. Cependant si le progrès de mon projet exigeoit des assurances ultérieures et plus sûres de mes connoissances en ce genre, je serois en état d’en produire des certificats bien valables. Mais peut-être que je serai déja assez recommandé à la protection de Votre Excellence pour avoir été disciple de Mr. Borlaque, de qui Mr. le Conseiller et Professeur Kaestner dans sa Méchanique sublime fait ce jugement honorable: que par rapport à la mechanique l’Allemagne et principalement la Saxe avoit sujet de se louer des lumières et de l’expérience de ce savant homme. Ce n’est qu’à ce Borlaque, que la Saxe doit ses Salines, qui sont d’un si grand rapport, et si dignes de toute l’admiration. Ce grand Homme fit merveilles de l’art; car avant lui, après tant d’essais inutiles, on crut tout-à-fait impossible de trouver en Saxe des mines de sel, et de pouvoir établir des Salines. Si c’étoit donc que Votre Excellence favoriseroit mon projet et qu’Elle daigne en l’exécutant satisfaire à mon souhait de me placer dans un cercle d’opérations plus ample que celui où je suis dans ma patrie; et qu’Elle trouvât à propos de m’en envoyer ses ordres ils me seront sûrement remis, si Votre Excellence veut me les envoyer sous l’addresse: Contrôleur aux Salines Durrenberg de S.A.S. Monseigneur l’Electeur de Saxe; incluse sous un couvert avec l’addresse: A Monsieur Senff Pasteur à l’Eglise St. Ulric d’Halle en Saxe. Je m’estimerai bien-heureux, d’en recevoir, et de pouvoir tâcher par l’exécution la plus exacte de convaincre Votre Excellence avec quelle profonde vénération j’ai l’honneur d’être, Monsieur, Votre très-humble et très-obéïssant serviteur

Erdmann Frédéric Senff.

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