From — Geraud (unpublished)
Bordeaux Le 14. Juillet 1778.
Monsieur,

Un gout décidé pour les Arts me fit employer ma jeunesse à acquerir des connoissances: l’étude et les voyages ont épuisé ma petite fortune: pour me faire un sort je n’ai d’autres moyens que mes foibles talents: j’y ai récours avec d’autant plus de plaisir que cette voye me fournira peut-être la douce satisfaction d’être utile à mes semblables. Animé par cette flateuse idée, il y a déjà longtems, Monsieur, que je conçûs le dessein de vous en faire hommage en vous les offrant pour le service des Etats que vous répresentés si dignement; mais des circonstances malheureuses ne m’aiant permis jusqu’à présent que des désirs; daignés, Monsieur, agréer actuellement mes offres réelles, aussi sinceres que respectueuses: l’espoir d’acceptation de vôtre part n’est fondé que sur vôtre bienfesance naturelle si générallement réconnue.

Pour vous mettre à même, Monsieur, de juger si mes connoissances peuvent-être de quelqu’utilité, il est necessaire de vous dire en quoi elles concistent. J’ai alternativement cultivé les Mathématiques, la Phisique, la Minéralogie et la chimie: cette derniere science, plus conforme à mon gout, l’a emporté sur les autres: je l’ai suivie avec ardeur, mais comme elle est vaste, je me suis particulierement attaché à la Métallurgie et aux Poudres et salpêtres. Assurer que j’ai acquis des connoissonnances [sic] étendues dans cette science seroit trop inconsequent, et l’éloge que je ferois de moi-même deviendroit ma honte si je ne pouvois soutenir, par des preuves, ce que j’aurois avancé.

Ministre sage, sçavant et zelé pour le bien des peuples que vous répresentés, vous vous faites un plaisir, Monsieur, d’encourager les talents en accordant vôtre puissante protection aux artistes qui la réclament pour obtenir de l’emploi au service des Etats unis de l’Amérique. Pourrois-je esperer d’avoir un peu de part à cette généreuse bienfesance qui constitue vôtre caractere naturel? Je me croirois indigne de la demander si je ne me sentois en état de remplir les obligations que je contracterai en récévant une commission. Pour vous engager, Monsieur, à vous interesser à mon sort, je vous suplie de me mêttre à même de subir un examen préliminaire: si mes facultés actuelles me permettoient des voyages à mes fraix, je ferois avec bien de la satisfaction une fois encore celui de Paris pour vous prier de m’examiner vous-même: j’en rétirérois plusieurs avantages, tels que d’avoir un examinateur indulgent qui ne dedaigneroit pas de me communiquer avec complaisance quelques unes de ses hautes connoissances; et le plus précieux seroit celui de connoitre personnellement un homme qui fait l’admiration de l’Europe et le bonheur de l’Amérique.

Un des motifs qui a retardé jusqu’à present l’éxécution de mon projet, est la promesse qui me fut faite d’un emploi honnête dans la partie des Poudres et salpêtres de france: un des inspecteurs eut la bonté de s’interesser à moi: soit complaisance, ou soit que réellement, d’après quelques opérations, il me trouvât capable de l’occuper utilement, il me proposa à la Régie: elle parut satisfaite, et promit de ne pas laisser échaper l’occasion de me placer: j’ai attendu tranquillement, mais vain espoir! J’ai été oublié: je n’en suis pas surpris, puisqu’en france le nombre des sujets est considerable, et que d’ailleurs la protection influë pour beaucoup à la distribution des emplois dans ces parties qui ne sont pas immédiatement sous les yeux du Ministere.

Habitué à des voyages dans presque toutes les parties de l’Europe, si j’ai pû soutenir les usages ridicules de certaine nation, que ne dois-je pas esperer de ceux d’un peuple libre guidé par le patriotisme et l’honneur? Le deffaut de la langue n’est qu’un foible obstacle que je vaincrai aisement: par l’habitation j’appris promptement l’italien et l’Espagnol; je dois esperer que l’Anglais ne me donnera pas plus de peine: à 35 ans on est encore dans l’âge d’acquerir: on s’occupe avec plaisir d’objets propres à instruire, comme la langue Anglaise, quand on a pû faire l’effort d’apprendre l’Espagnolle qui n’a, ni utilité ni agréments.

Je suis avec un très profond Respect, Monsieur, Vôtre très-humble et très obéïssant serviteur

Geraud
Chés Mrs. Chs. Geraud et Texier
à Bordeaux
Endorsed: Geraud Wants Employ 14. Juillet 1778.
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