From — de Ferriere (unpublished)
Lorient 26. aout 1782
Monsieur,

Si je prens la liberté d’interrompre vos importantes occupations pour vous adresser mes plaintes, et si je n’employe auprès de vous aucun des moyens ordinaires pour appuyer ma demande, c’est que je sçais avec le reste de la terre que la justice seule dicte vos jugemens, et qu’il suffit de vous la faire appercevoir pour obtenir votre suffrage; c’est donc elle que j’ose réclamer dans un petit différend que je me trouve avoir avec Messieurs Cumin et Macarty sinon vos compatriotes, correspondans au moins d’une maison américaine. Voici les faits.

J’habittois cy devant la Ville de Quimper; ma femme qui ne s’y plaisoit plus ayant le desir d’aller se fixer dans celle de Nantes je chargeai nos meubles et nos effets sur une barque qui fût prise par les Anglais, et reprise par la Bric américaine le hambourg qui l’amarra à L’orient, et le vendit à la consignation de Mrs. Cuming et Macarty pour la vente en être faitte parce que la reprise avoit été jugée bonne.

Instruit de l’époque de cette vente, je me rendis ici pour tâcher de rachetter mes meubles; comme j’etois porteur d’une lettre de recommandation de Monsieur Williams de Nantes qui je crois, a l’honneur, Monsieur, de vous appartenir, je fus assés bien accueilli de ces correspondans qui me promirent de faire en ma faveur tout ce qui dépendoit d’eux, et qui sur le chagrin que je leur témoignai de ne pas trouver parmi mes livres exposés en vente mon Encyclopédie, Voltaire et l’abbé Raynal me répondirent que le Libraire n’avoit pas voulû les exposer en vente, mais qu’ils les avoient chès eux et que je serois le maitre d’en fixer le prix; cette promesse étoit honnête, mais elle ne fût pas remplie; et à la sortie de la vente lorsque j’en parlai à M. Cuming, il fixa à 1200 lt le prix de ces ouvrages; je me récriai sur l’énormité de la somme qui excede de beaucoup la valeur réelle de ces livres puisque mon Encyclopédie est de l’Edition d’yverdon qu’il y manque six volumes de planches que j’ai chès moi à Nantes et que fut elle complette elle ne vaudroit jamais celle qui se fait aujourdhui à Paris qui ne coutera que 700 lt. Mon Voltaire est d’une édition médiocre reliée en Bazane et ne m’a couté neuf que 100 lt; quant à l’abbé Raynal c’est la seconde édition peu recherchée aujourdhuy qu’il en paroit une nouvelle.

M. cuming pour se disculper du reproche fondé que lui fait toute la place de vouloir dépouiller un cytoyen honnête dit que la vente n’a pas été assès avantageuse pour l’équipage, et que ce n’est que cette considération qui le fait agir; cependant j’ay l’honneur de vous assurer, Monsieur, que les assurances que j’ay fait faire à Nantes ne sont que de 5000 lt que je perds tout mon vin, les dentelles de ma femme qui étoient un objet de plus de cinquante Louis, beaucoup de Linge, tous les livres que je viens de citer, et que cependant j’ay payé au même M. Cuming 4564 lt. 6 s. pour le montant de l’adjudication qui m’a été faite sans compter trois loüis que je luy ai versés en forme de gratiffication à l’Equipage pour le dédommager de quelques portraits de famille qui n’avoient pas été exposés en vente.

Voila, Monsieur, la vérité des faits présentée avec simplicité. C’est à vous à apprecier le procédé de ces correspondans, et de juger. Votre décision sera une loi à laquelle je me soumettrai avec autant de docilité que de respect.

Je suis avec la plus grande vénération, Monsieur, Votre très humble et très obeissant serviteur

De ferriere
ancien officier de Dragons
Si vous m’honorés, Monsieur, d’une réponse, j’oserai vous prier de me l’adresser à Nantes quai flesselles parceque j’en vais prendre la route avant la fin de cette semaine.
Endorsed: de Ferriere 6. [sic] Aout 1782.
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